re donnait un grand attrait a
son commerce. Sa personnalite ne se mettant jamais en travers de celle
des autres, il se laissait doucement entrainer, en apparence, a leur
gaiete ou a leur raison, mais je voyais bien qu'il gardait, par devers
lui, une appreciation un peu triste et desillusionnee des hommes et
des choses, et je le trouvais trop jeune pour s'abandonner au
desenchantement avant que l'experience lui eut donne le droit de le
faire. Je le plaignais de n'etre ni amoureux, ni enthousiaste, ni
ambitieux. Il me semblait qu'il avait trop de jugement et pas assez
d'emotion, et j'etais tente de lui conseiller quelque folie, plutot que
de le voir rester ainsi en dehors de toutes choses, et comme qui dirait
en dehors de lui-meme.
Enfin, il se decida a me reparler de son avenir; et, comme il etait
d'ordinaire tres-peu expansif sur son propre compte, j'eus a refaire
connaissance avec lui dans une seconde explication directe, bien que je
l'eusse vu tres-souvent depuis la premiere.
Dans ce court espace de quelques mois, il s'etait fait en lui certains
changements exterieurs qui semblaient reveler des modifications
interieures plus importantes. Il s'etait promptement mis a l'unisson de
la societe parisienne par sa toilette plus soignee et ses manieres plus
aisees. Il s'etait habille et coiffe comme tout le monde; et cela, soit
dit en passant, le rendait tres-joli garcon, sa figure ayant deja
par elle-meme un charme remarquable. Il avait pris de l'usage et de
l'aisance. Son air et son langage annoncaient une grande facilite
a effacer les angles de son individualite au contact des choses
exterieures. Je m'attendais donc a le trouver un peu rattache a ces
choses, et je fus etonne d'apprendre de lui qu'il s'en etait, au
contraire, detache davantage.
II
--Non, me dit-il, je ne saurais m'enivrer de ce qui enivre la jeunesse
de mon temps; et, si je ne decouvre pas quelque chose qui me reveille et
me passionne, je n'aurai pas de jeunesse. Ne me croyez pas lache pour
cela; mettez-vous a ma place, et vous me jugerez avec indulgence. Vous
appartenez a une generation eclose au souffle d'idees genereuses. Quand
vous aviez l'age que j'ai maintenant, vous viviez d'un souffle d'avenir
social, d'un reve de progres immediat et rapide qu'a la revolution de
juillet, vous crutes pret a voir realiser. Vos idees furent refoulees,
persecutees, vos esperances dejouees par le fait; mais elles ne furent
point etouffees pour cela, et la
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