lu avoir des renseignements non seulement sur Mme
de Guermantes mais sur tous les etres qui l'approchaient, et, tout
comme Bloch, avec le manque de tact des gens qui cherchent dans leur
conversation non a plaire aux autres mais a elucider, en egoistes, des
points que les interessent, pour tacher de me representer exactement la
vie de Mme de Guermantes, j'interrogeai Mme de Villeparisis sur Mme
Leroi.
--Oui, je sais, repondit-elle avec un dedain affecte, la fille de ces
gros marchands de bois. Je sais qu'elle voit du monde maintenant, mais
je vous dirai que je suis bien vieille pour faire de nouvelles
connaissances. J'ai connu des gens si interessants, si aimables, que
vraiment je crois que Mme Leroi n'ajouterait rien a ce que j'ai.
Mme de Marsantes, qui faisait la dame d'honneur de la marquise, me
presenta au prince, et elle n'avait pas fini que M. de Norpois me
presentait aussi, dans les termes les plus chaleureux. Peut-etre
trouvait-il commode de me faire une politesse qui n'entamait en rien son
credit puisque je venais justement d'etre presente; peut-etre parce
qu'il pensait qu'un etranger, meme illustre, etait moins au courant des
salons francais et pouvait croire qu'on lui presentait un jeune homme du
grand monde; peut-etre pour exercer une de ses prerogatives, celle
d'ajouter le poids de sa propre recommandation d'ambassadeur, ou par le
gout d'archaisme de faire revivre en l'honneur du prince l'usage,
flatteur pour cette Altesse, que deux parrains etaient necessaires si on
voulait lui etre presente.
Mme de Villeparisis interpella M. de Norpois, eprouvant le besoin de me
faire dire par lui qu'elle n'avait pas a regretter de ne pas connaitre
Mme Leroi.
--N'est-ce pas, monsieur l'ambassadeur, que Mme Leroi est une personne
sans interet, tres inferieure a toutes celles qui frequentent ici, et
que j'ai eu raison de ne pas l'attirer?
Soit independance, soit fatigue, M. de Norpois se contenta de repondre
par un salut plein de respect mais vide de signification.
--Monsieur, lui dit Mme de Villeparisis en riant, il y a des gens bien
ridicules. Croyez-vous que j'ai eu aujourd'hui la visite d'un monsieur
qui a voulu me faire croire qu'il avait plus de plaisir a embrasser ma
main que celle d'une jeune femme?
Je compris tout de suite que c'etait Legrandin. M. de Norpois sourit
avec un leger clignement d'oeil, comme s'il s'agissait d'une
concupiscence si naturelle qu'on ne pouvait en vouloir a celui qui
l'eprouv
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