st insense, repondit Orio avec impatience, il ne connait pas
l'orgueil venitien. Ezzelin ne fuira pas; il ira a sa rencontre, il se
jettera dans le danger. N'a-t-il pas en tete la sotte chimere de
l'honneur? D'ailleurs, le vent tournera au lever du soleil et soufflera
jusqu'a midi.
--Maitre, il n'y a pas d'apparence, repond Naam.
--Hussein est un poltron," s'ecrie Orio avec colere.
Ils montent ensemble sur la terrasse du donjon. La galere du comte Ezzelin
est deja sortie de la baie. Elle vogue legere et rapide vers le nord. Mais
le soleil sort de la mer et le vent tourne. Il souffle en plein de Venise
et va refouler les vagues et les navires sur les ecueils de l'archipel
Ionien. La course d'Ezzelin se ralentit.
"Ezzelin! tu es perdu!" s'ecrie Orio dans le transport de sa joie.
Naam regarde le front orgueilleux de son maitre. Elle se demande si cet
homme audacieux ne commande pas aux elements, et son aveugle devouement ne
connait plus de bornes.
Oh! que les heures de cette journee se trainerent lentement pour Soranzo
et pour son esclave fidele! Orio avait prevu si exactement le temps
necessaire a la marche de la galere et aux manoeuvres des Missolonghis,
qu'a l'heure precise indiquee par lui le combat s'engagea. D'abord il ne
l'entendit pas, parce qu'Ezzelin n'employa pas le canon contre les
caiques. Mais quand les tartanes vinrent l'assaillir, quand il vit qu'il
avait a lutter contre deux cents pirates avec une soixantaine d'hommes
blesses ou fatigues par le combat de la veille, il fit usage de toutes ses
ressources.
Le combat fut acharne, mais court. Que pouvait le courage desespere contre
le nombre et surtout contre le destin? Orio entendit la canonnade. Il
bondit comme un tigre dans sa cage, et se cramponna aux creneaux de la
tour, pour resister au vertige qui l'emportait a travers l'espace. Dans sa
main gauche, il tenait la main de Naam et la brisait d'une etreinte
convulsive a chaque coup de canon dont le bruit sourd venait expirer a son
oreille. Tout a coup il se fit un grand silence, un silence affreux,
impossible a expliquer, et durant lequel Naam commenca a craindre que tous
les plans de son maitre n'eussent avorte.
Le soleil montait calme et radieux, la mer etait nue comme le ciel. Le
combat se passait entre les deux dernieres iles situees au nord-est de
San-Silvio. La garnison du chateau s'etonnait et s'effrayait de ce bruit
sinistre; quelques sous-officiers et quelques braves marins avaient
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