ontinuer la tyrannie. Le propre des hommes
est d'avoir peur des dangers quand ils sont passes, et de prendre des
precautions contre ce qui ne peut plus etre. La tyrannie du dernier comite
de salut public etait nee du besoin de suffire a une tache extraordinaire,
au milieu d'obstacles de tout genre. Quelques hommes s'etaient presentes
pour faire ce qu'une assemblee ne pouvait, ne savait, n'osait faire
elle-meme; et au milieu de leurs travaux inouis pendant quinze mois, ils
n'avaient pu ni motiver leurs operations, ni en rendre compte a
l'assemblee, que d'une maniere tres generale; ils n'avaient pas meme le
temps d'en deliberer entre eux, et chacun d'eux vaquait en maitre absolu a
la tache qui lui etait devolue. Ils etaient devenus ainsi autant de
dictateurs forces, que les circonstances, plutot que l'ambition, avaient
rendus tout-puissans. Aujourd'hui que la tache etait presque achevee, que
les perils extremes etaient passes, une pareille puissance ne pouvait plus
se former, faute d'occasion. Il etait pueril de se premunir si fort contre
un danger devenu impossible; il y avait meme, dans cette prudence, un
inconvenient grave, celui d'enerver l'autorite et de lui enlever toute
energie. Douze cent mille hommes avaient ete leves, nourris, armes, et
conduits aux frontieres; mais il fallait pourvoir a leur entretien, a leur
direction, et c'etait un soin qui exigeait encore une grande application,
une rare capacite, et des pouvoirs tres etendus.
Deja on avait decrete le principe du renouvellement des comites par quart
chaque mois; et on avait decide, en outre, que les membres sortans ne
pourraient rentrer avant un mois. Ces deux conditions, en empechant une
nouvelle dictature, empechaient aussi toute bonne administration. Il etait
impossible qu'il y eut aucune suite, aucune application constante, aucun
secret dans ce ministere constamment renouvele. Dans cette organisation, a
peine un membre etait-il au courant des affaires, qu'il etait force de les
quitter; et si une capacite se declarait, comme celle de Carnot pour la
guerre, de Prieur (de la Cote-d'Or) et de Robert Lindet pour
l'administration, de Cambon pour les finances, elle etait ravie a l'etat au
terme designe; car l'absence seule pendant un mois exigee par la loi,
rendait a peu pres nuls les avantages d'une reelection ulterieure.
Mais il fallait subir la reaction. A une concentration extreme de pouvoir
devait succeder une dissemination tout aussi extreme, et bien aut
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