t la veuve de l'infortune general
Alexandre Beauharnais, jeune creole attrayante, non par sa beaute, mais par
une grace extreme. Dans ces reunions, on attirait ces hommes simples et
exaltes qui venaient de mener une vie si dure et si tourmentee. On les
caressait; quelquefois meme on les raillait sur leurs costumes, sur leurs
moeurs, sur leurs principes rigoureux. On les faisait asseoir a table a
cote d'hommes qu'ils auraient poursuivis naguere comme des aristocrates,
des speculateurs enrichis, des dilapidateurs de la fortune publique; on les
forcait ainsi a sentir leur inferiorite aupres des anciens modeles du bon
ton et du bel esprit. Beaucoup d'entre eux, depourvus de moyens, perdaient
leur dignite avec leur rudesse, et ne savaient pas soutenir l'energie de
leur caractere; d'autres qui, par leur esprit, savaient conserver leur
rang, et se donner bientot ces avantages de salon si frivoles et si tot
acquis, n'etaient cependant pas a l'abri d'une flatterie delicate. Tel
membre d'un comite, sollicite adroitement dans un diner, accordait un
service, ou laissait influencer son vote.
Ainsi une femme, nee d'un financier, mariee a un magistrat, et devenue,
comme l'une des depouilles de l'ancienne societe, l'epouse d'un
revolutionnaire ardent, se chargeait de reconcilier des hommes simples,
quelquefois grossiers et presque toujours fanatises, avec l'elegance, le
gout, les plaisirs, la liberte des moeurs et l'indifference des opinions.
La revolution, ramenee (et c'etait sans doute un bonheur) de ce terme
extreme de fanatisme et de grossierete, s'avancait neanmoins d'une maniere
trop rapide vers l'oubli des moeurs, des principes, et, on peut presque
dire, des ressentimens republicains. On reprochait ce changement aux
thermidoriens, on les accusait de s'y livrer, de le produire, de
l'accelerer, et le reproche etait juste.
Les revolutionnaires ne paraissaient pas dans ces salons ou ces concerts. A
peine quelques-uns d'entre eux osaient-ils s'y montrer, et ils n'en
sortaient que pour aller dans les tribunes s'elever contre la _Cabarrus_
contre les aristocrates, contre les intrigans et les fournisseurs qu'elle
trainait a sa suite. Ils n'avaient, eux, d'autres reunions que leurs clubs
et leurs assemblees de sections; ils n'allaient pas y chercher des
plaisirs, mais exhaler leurs passions. Leurs femmes, qu'on appelait les
_furies de guillotine_, parce qu'elles avaient souvent fait cercle autour
de l'echafaud, paraissaient en costume
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