Madame
est resolue a coucher ici?
--Vous le voyez bien, repondit Marcelle, et vous avez la un cabinet pour
vous, avec une vue magnifique et beaucoup d'air.
--Je suis fort obligee a madame, mais madame peut etre assuree que je
n'y coucherai pas. J'y ai peur en plein jour; que serait-ce la nuit? on
dit qu'il y revient, et je n'ai pas de peine a le croire.
--Vous etes folle, Suzette. Je vous defendrai contre les revenants.
--Madame aura la bonte de faire coucher ici quelque servante de la
ferme, car j'aimerais mieux m'en aller tout de suite a pied de cet
affreux pays....
--Vous le prenez tragiquement, Suzette. Je ne veux vous contraindre en
rien, vous coucherez ou vous voudrez; cependant je vous ferai observer
que si vous preniez l'habitude de me refuser vos services, je me verrais
dans la necessite de me separer de vous.
--Si Madame compte rester longtemps dans ce pays-ci, et habiter cette
masure....
--Je suis forcee d'y rester un mois, et peut-etre davantage; qu'en
voulez-vous conclure?
--Que je demanderai a madame de vouloir bien me renvoyer a Paris ou dans
quelque autre terre de madame, car je fais serment que je mourrais ici
au bout de trois jours.
--Ma chere Suzette, repondit Marcelle avec beaucoup de douceur, je n'ai
plus d'autre terre, et je ne retournerai probablement jamais demeurer a
Paris. Je n'ai plus de fortune, mon enfant, et il est probable que je ne
pourrai vous garder longtemps a mon service. Puisque ce sejour vous est
odieux, il est inutile que je vous l'impose durant quelques jours. Je
vais vous payer vos gages et votre voyage. La patache qui nous a amenees
n'est pas repartie. Je vous donnerai de bonnes recommandations, et mes
parents vous aideront a vous placer.
--Mais comment madame veut-elle que je m'en aille comme cela toute
seule? Vraiment, c'etait bien la peine de m'amener si loin dans un pays
perdu!
--J'ignorais que j'etais ruinee, et je viens de l'apprendre a l'instant
meme, repondit Marcelle avec calme; ne me faites donc pas de reproches,
c'est involontairement que je vous ai cause cette contrariete.
D'ailleurs, vous ne partirez pas seule; Lapierre retournera a Paris avec
vous.
--Madame renvoie aussi Lapierre? reprit Suzette consternee.
--Je ne renvoie pas Lapierre. Je le rends a ma belle-mere, qui me
l'avait donne, et qui reprendra avec plaisir ce vieux et bon serviteur.
Allez diner, Suzette, et preparez-vous a partir.
Confondue du sang-froid et de la tranquill
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