iment etait mele d'une mefiance dont le
Grand-Louis eut voulu se guerir l'esprit par une sincere explication.
N'ayant pas reussi, a son tour il se croyait provoque, et en prenant le
chemin du cafe Robichon, chacun des deux adversaires se persuadait qu'il
etait force de repondre a la fantaisie belliqueuse de l'autre.
Six heures sonnaient a l'horloge d'une eglise voisine, lorsqu'ils
arriverent au cafe Robichon. C'etait une maisonnette decoree de ce titre
fastueux qu'on voit maintenant jusque sur les plus humbles cabarets des
provinces les plus arrierees. _"Cafe de la Renaissance."_ On y entrait
par une etroite allee plantee de jeunes acacias et de dahlias superbes.
La petite cour aux explications etait adossee au mur de l'eglise
gothique, revetu en cet endroit de lierre et de roses grimpantes. Des
berceaux de chevrefeuille et de clematite interceptaient le regard des
voisins et parfumaient l'air matinal. Cette cachette fleurie, deserte
encore et proprement sablee, semblait destinee a des rendez-vous d'amour
beaucoup plus qu'a des scenes tragiques.
En y introduisant Lemor, le Grand-Louis ferma la porte derriere lui,
puis s'asseyant a une petite table de bois peinte en vert:
--Ah ca! dit-il, sommes-nous venus ici pour nous allonger des coups ou
pour prendre le cafe ensemble?
--C'est comme il vous plaira, repondit Lemor. Je me battrai avec vous si
vous voulez; mais je ne prendrai pas de cafe.
--Vous etes trop fier pour ca! c'est tout simple! dit le Grand-Louis en
haussant les epaules. Quand on recoit des lettres d'une baronne!
--Vous recommencez donc? Allons, laissez-moi m'en aller, ou battons-nous
tout de suite.
--Je ne peux pas me battre avec vous, dit le meunier. Vous n'avez
qu'a me regarder, je crois, pour voir que je ne suis pas un capon,
et cependant je refuse la partie que vous m'avez proposee. Madame de
Blanchemont ne me le pardonnerait jamais, et cela perdrait toutes mes
affaires.
--Qu'a cela ne tienne! si vous pensez que madame de Blanchemont vous
blame d'etre querelleur, vous n'etes pas force de lui dire que vous
m'avez cherche noise.
--Ah! c'est donc moi qui vous ai cherche noise a present? qu'est-ce qui
a parle le premier de se battre?
--Il me semble que vous etes le seul qui en ayez parle, mais peu
importe. J'accepte la proposition.
--Mais qu'est-ce qui a insulte l'autre? Je ne vous ai rien dit que
d'honnete, et vous m'avez traite d'impertinent.
--Votre maniere d'interpreter mes parol
|