rigine, et que Dieu n'est pour lui qu'une idole favorable aux
moissons et aux troupeaux de celui qui lui vote un cierge ou une image.
En venant ce matin ici, j'ai rencontre une procession arretee autour
d'une fontaine pour conjurer la secheresse. J'ai demande pourquoi on
priait la plutot qu'ailleurs. Une femme m'a repondu, en me montrant une
petite statue de platre cachee dans une niche et ornee de guirlandes
comme les dieux du paganisme[5], "c'est que cette _bonne dame_ est la
meilleure de toutes pour la pluie."
[Note 5: Les Peres de l'Eglise primitive condamnaient amerement cet
usage paien d'orner les statues des dieux. Minutius Felix s'en explique
clairement et admirablement. L'Eglise du moyen age a retabli les
pratiques de l'idolatrie, et l'Eglise d'aujourd'hui continue cette
speculation lucrative.]
"Si mon fils est indigent, il faudra donc qu'il soit idolatre, au
rebours des premiers chretiens qui embrassaient la vraie religion
avec la sainte pauvrete? Je sais bien que le pauvre a le droit de me
demander: Pourquoi ton fils plutot que le mien connaitrait-il Dieu et la
verite? Helas! je n'ai rien a lui repondre, sinon que je ne puis sauver
son fils qu'en sacrifiant le mien. Et quelle reponse inhumaine pour lui!
Oh! les temps de naufrage sont affreux! Chacun court a ce qui lui est
le plus cher et abandonne les autres. Mais encore une fois, Rose, que
pouvons-nous donc, nous autres pauvres femmes, qui ne savons que pleurer
sur tout cela?
"Ainsi, les devoirs que nous impose la famille sont en contradiction
avec ceux que nous impose l'humanite. Mais nous pouvons encore quelque
chose pour la famille, tandis que pour l'humanite, a moins d'etre
tres-riches, nous ne pouvons rien encore. Car dans ce temps-ci, ou les
grandes fortunes devorent les petites si rapidement, la mediocrite,
c'est la gene et l'impuissance.
"Voila pourquoi, continua Marcelle en essuyant une larme, je vais etre
forcee de modifier les beaux reves que j'avais faits en quittant Paris
il y a deux jours. Mais je veux faire encore de mon mieux, Rose, pour ne
pas m'entourer de petites jouissances inutiles aux depens des autres. Je
veux me reduire au necessaire, acheter une maison de paysan, vivre aussi
sobrement qu'il me sera possible sans alterer ma sante (puisque je dois
ma vie a Edouard), mettre de l'ordre dans ce petit capital pour le lui
donner un jour, apres lui en avoir indique l'usage que Dieu nous aura
revele utile et pieux dans ce temps-la; et
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