urir
et a jouer ensemble, dans le pre, dans la garenne, dans les greniers du
chateau. Mais quand il fut en age d'etre utile a sa mere en travaillant
a la farine, elle le rappela au moulin. Nous eumes tant de regret de
nous separer, et je m'ennuyais tellement sans lui, sa mere et sa soeur
(ma nourrice) m'etaient si attachees, qu'on me conduisait a Angibault
tous les samedis soir pour me ramener ici tous les lundis matin. Cela
dura jusqu'a l'age ou on me mit en pension a la ville, et quand j'en
sortis, il n'etait plus question de camaraderie entre un garcon comme le
meunier et une jeune fille qu'on traitait de demoiselle. Cependant nous
nous sommes toujours vus souvent, surtout depuis que mon pere, malgre la
distance, l'a pris pour son meunier et qu'il vient ici trois ou quatre
fois par semaine. De mon cote, j'ai toujours eu un grand plaisir a
revoir Angibault et la meuniere, qui est si bonne et que j'aime tant!...
Eh bien, Madame, concevez-vous que, depuis quelque temps, ma mere
s'avise de trouver cela mauvais et qu'elle m'empeche d'aller m'y
promener? Elle a pris le pauvre Grand-Louis en horreur, elle fait son
possible pour le mortifier, et elle m'a defendu de danser avec lui
dans les _assemblees_, sous pretexte qu'il est trop au-dessous de moi.
Cependant, nous autres demoiselles de campagne, comme on nous appelle,
nous dansons toujours avec les paysans qui nous invitent; et d'ailleurs
on ne peut pas dire que le meunier d'Angibault soit un paysan. Il a pour
une vingtaine de mille francs de bien et il a ete mieux eleve que bien
d'autres. A vous dire le vrai, mon cousin Honore Bricolin n'ecrit pas
l'orthographe aussi bien que lui, quoiqu'on ait depense plus d'argent
pour l'instruire, et je ne vois pas pourquoi on veut que je sois si
fiere de ma famille.
--Je n'y comprends rien non plus, dit Marcelle, qui voyait bien qu'un
peu de finesse etait necessaire avec mademoiselle Rose, et qu'elle ne
se confesserait pas avec l'ardente expansion du Grand-Louis. Est-ce que
vous ne voyez rien dans les manieres du bon meunier qui ait pu motiver
le mecontentement de votre mere?
--Oh! rien du tout. Il est cent fois plus honnete et plus convenable
que tous nos bourgeois de campagne, qui s'enivrent presque tous et sont
parfois tres-grossiers. Jamais il n'a dit a mes oreilles un mot qui
m'ait portee a baisser les yeux.
--Mais votre mere ne se serait-elle pas forge la singuliere idee qu'il
peut etre amoureux de vous?
Rose se troubla
|