ne
pas vivre assez pour tout reparer! Chere maman, que sa memoire recoive
de votre coeur et du mien une entiere et facile absolution!
"Maintenant, deux mots sur Edouard et sur moi, qui ne faisons qu'un
dans cette epreuve de la destinee. Il me restera, je l'espere, de quoi
pourvoir a tous ses besoins et a son education. Il n'est pas d'age a
s'affliger de pertes qu'il ignore et qu'il sera bon de lui laisser
ignorer autant que possible lorsqu'il sera capable de les comprendre.
N'est-il pas heureux pour lui que ce changement dans sa situation
s'opere avant qu'il ait pu se faire un besoin de vivre dans l'opulence?
Si c'est un malheur d'etre reduit au necessaire (ce n'en est pas un
a mes yeux), il ne le sentira pas, et, habitue desormais a vivre
modestement, il se croira assez riche. Puisqu'il etait destine a tomber
dans une condition mediocre, c'est donc un bienfait de la Providence de
l'y avoir fait descendre dans un age ou la lecon, loin d'etre amere, ne
peut que lui etre utile. Vous me direz que d'autres heritages lui sont
reserves. Je suis etrangere a cet avenir, et ne veux, en aucune facon,
en profiter d'avance. Je refuserais presque comme un affront les
sacrifices que sa famille voudrait s'imposer pour me procurer ce qu'on
appelle un genre de vie honorable. Dans l'apprehension de ce que je
viens d'apprendre, j'avais deja fait mon plan de conduite. Je viens de
m'y conformer, et rien au monde ne m'en fera departir. Je suis resolue
a m'etablir en province, au fond d'une campagne, ou j'habituerai les
premieres annees de mon fils a une vie laborieuse et simple, et ou il
n'aura pas le spectacle et le contact de la richesse d'autrui pour
detruire le bon effet de mes exemples et de mes lecons. Je ne perds pas
l'esperance d'aller vous le presenter quelquefois, et vous verrez avec
plaisir un enfant robuste et enjoue, au lieu de cette frele et reveuse
creature pour l'existence de laquelle nous n'avions cesse de trembler.
Je sais les droits que vous avez sur lui et le respect que je dois a vos
volontes et a vos conseils; mais j'espere que vous ne blamerez pas mon
projet, et que vous me laisserez gouverner cette enfance durant laquelle
les soins assidus d'une mere et les salutaires influences de la campagne
seront plus utiles que les lecons superficielles d'un professeur
grassement paye, des exercices de manege et des promenades en voiture
au bois de Boulogne. Quant a moi, ne vous inquietez nullement; je n'ai
aucun regret a ma vi
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