il n'y avait rien de
neuf a tenter, que les savants n'avaient jamais rien decouvert, qu'en
voulant innover on se ruinait toujours; que, depuis que le _monde est
monde jusqu'au jour d'aujourd'hui_, on avait toujours fait de meme, et
qu'on ne ferait jamais mieux.
--Bon! dit le meunier. Et les premiers qui ont fait ce que nous faisons
aujourd'hui, ceux qui ont attele des boeufs pour ouvrir la terre et
pour ensemencer, ils ont fait du neuf cependant, et on aurait pu les en
empecher en se persuadant qu'une terre qu'on n'avait jamais cultivee
ne deviendrait jamais fertile? C'est comme en politique; dites donc,
monsieur Bricolin, s'il y a cent ans, on vous avait dit que vous
ne paieriez plus ni dimes ni redevances; que les couvents seraient
detruits...
--Bah! bah! je ne l'aurais peut-etre pas cru, c'est vrai; mais c'est
arrive parce que ca devait arriver. Tout est pour le mieux _au jour
d'aujourd'hui_; tout le monde est libre de faire fortune, et on
n'inventera jamais mieux que ca.
--Et les pauvres, les paresseux, les faibles, les _betes_, qu'est-ce que
vous en faites?
--Je n'en fais rien, puisqu'ils ne sont bons a rien. Tant pis pour eux!
--Et si vous en etiez, monsieur Bricolin, ce qu'a Dieu ne plaise! (vous
en etes bien loin) diriez-vous: "Tant pis pour moi?" Non, non, vous
n'avez pas dit ce que vous pensiez, en repondant tant pis pour eux! vous
avez trop de coeur et de religion pour ca.
--De la religion, moi? Je m'en moque, de la religion, et toi aussi. Je
vois bien que ca essaie de revenir, mais je ne m'en inquiete guere.
Notre cure est un bon vivant, et je ne le contrarie pas. Si c'etait un
cagot, je l'enverrais joliment promener. Qu'est-ce qui croit a toutes
ces betises-la _au jour d'aujourd'hui_?
--Et votre femme, et votre mere, et votre fille, disent-elles que ce
sont des betises?
--Oh! ca leur plait, ca les amuse. Les femmes ont besoin de ca a ce
qu'il parait.
--Et nous autres paysans, nous sommes comme les femmes, nous avons
besoin de religion.
--Eh bien! vous en avez une sous la main; allez a la messe, je ne vous
en empeche pas, pourvu que vous ne me forciez pas d'y aller.
--Cela peut arriver cependant, si la religion que nous avons redevient
fanatique et persecutante comme elle l'a ete si fort et si souvent.
--Elle ne vaut donc rien? laissez-la tomber. Je m'en passe bien, moi?
--Mais puisqu'il nous en faut une absolument, a nous autres, c'est donc
une autre qu'il faudrait avoir?
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