rte fut que le veritable maitre a Dunkelthwaite
etait, et cela ne faisait aucun doute, non point l'oncle Jeremie,
mais le secretaire de l'oncle Jeremie.
Mon flair medical me disait que l'amour exclusif de la poesie, qui
eut ete une excentricite inoffensive au temps ou le vieillard
etait encore jeune, etait devenu desormais une veritable monomanie
qui lui emplissait l'esprit en ne laissant nulle place a toute
autre idee.
Copperthorne, en flattant le gout de son maitre et le dirigeant
sur cet objet unique, a ce point qu'il lui devenait indispensable,
avait reussi a s'assurer un pouvoir sans limite en toutes les
autres choses.
C'etait lui qui s'occupait des finances de l'oncle, qui menait les
affaires de la maison sans avoir a subir de questions ni de
controle.
A vrai dire, il avait assez de tact pour exercer son pouvoir d'une
main legere, de facon a ne point meurtrir son esclave: aussi ne
rencontrait-il aucune resistance.
Mon ami, tout entier a ses distillations, a ses analyses, ne se
rendit jamais compte qu'il etait devenu un zero dans la maison.
J'ai deja exprime ma conviction que si Copperthorne eprouvait un
tendre sentiment a l'egard de la gouvernante, elle ne lui donnait
pas le moindre encouragement. Mais au bout de quelques jours j'en
vins a penser qu'en dehors de cet attachement non paye de retour,
il existait quelque autre lien entre ces deux personnages.
J'ai vu plus d'une fois Copperthorne prendre a l'egard de la
gouvernante un air qui ne pouvait etre qualifie autrement que
d'autoritaire.
Deux ou trois fois aussi, je les avais vus arpenter la pelouse
dans les premieres heures de la nuit, en causant avec animation.
Je n'arrivais pas a deviner quelle sorte d'entente reciproque
existait entre eux.
Ce mystere piqua ma curiosite.
La facilite, avec laquelle on devient amoureux en villegiature a
la campagne, est passee en proverbe, mais je n'ai jamais ete d'une
nature sentimentale et mon jugement ne fut fausse par aucune
preference en faveur de miss Warrender. Au contraire, je me mis a
l'etudier comme un entomologiste l'eut fait pour un specimen,
d'une facon minutieuse, tres impartiale.
Pour atteindre ce but, j'organisai mon travail de maniere a etre
libre quand elle sortait les enfants pour leur faire prendre de
l'exercice.
Nous nous promenames ainsi ensemble maintes fois, et cela m'avanca
dans la connaissance de son caractere plus que je n'eusse pu le
faire en m'y prenant autrement.
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