t assez bizarre que je
dominais de la hauteur ou je me trouvais. C'etait un petit coin de terre
bourgeoisement dessine. Ses allees blondes de sable, bordees de buis
tres vert, les deux cypres de sa porte d'entree, lui donnaient l'aspect
d'une bastide marseillaise. Pas une ligne d'ombre. Au fond, un batiment
de pierre blanche avec des jours de caveau au ras du sol. J'avais
d'abord cru a une maison de campagne; mais, en y regardant mieux, la
croix qui la surmontait, une inscription que je voyais de loin creusee
dans la pierre, sans en distinguer le texte, me firent reconnaitre un
tombeau de famille corse. Tout autour d'Ajaccio, il y a beaucoup de ces
petites chapelles mortuaires, dressees au milieu de jardins a elles
seules. La famille y vient, le dimanche, rendre visite a ses morts.
Ainsi comprise, la mort est moins lugubre que dans la confusion des
cimetieres. Des pas amis troublent seuls le silence.
De ma place, je voyais un bon vieux trottiner tranquillement par les
allees. Tout le jour il taillait les arbres, bechait, arrosait, enlevait
les fleurs fanees avec un soin minutieux; puis, au soleil couchant, il
entrait dans la petite chapelle ou dormaient les morts de sa famille; il
resserrait la beche, les rateaux, les grands arrosoirs; tout cela avec
la tranquillite, la serenite d'un jardinier de cimetiere. Pourtant,
sans qu'il s'en rendit bien compte, ce brave homme travaillait avec un
certain recueillement, tous les bruits amortis et la porte du caveau
refermee, chaque fois discretement comme s'il eut craint de reveiller
quelqu'un. Dans le grand silence radieux, l'entretien de ce petit jardin
ne troublait pas un oiseau, et son voisinage n'avait rien d'attristant.
Seulement la mer en paraissait plus immense, le ciel plus haut, et cette
sieste sans fin mettait tout autour d'elle, parmi la nature troublante,
accablante a force de vie, le sentiment de l'eternel repos...
LES DEUX AUBERGES
C'etait en revenant de Nimes, une apres-midi de juillet. Il faisait
une chaleur accablante. A perte de vue, la route blanche, embrasee,
poudroyait entre les jardins d'oliviers et de petits chenes, sous un
grand soleil d'argent mat qui remplissait tout le ciel. Pas une tache
d'ombre, pas un souffle de vent. Rien que la vibration de l'air chaud
et le cri strident des cigales, musique folle, assourdissante, a
temps presses, qui semble la sonorite meme de cette immense vibration
lumineuse... Je marchais en plein desert depuis deux
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