i au loin, banal
dans sa rondeur, ou l'arbre n'a rien laisse qu'une mince attache verte,
tient de la sucrerie, de la confiserie. Le papier de soie qui l'entoure,
les fetes qu'il accompagne, contribuent a cette impression. Aux
approches de janvier surtout, les milliers d'oranges disseminees par les
rues, toutes ces ecorces trainant dans la boue du ruisseau, font songer
a quelque arbre de Noel gigantesque qui secouerait sur Paris ses
branches chargees de fruits factices. Pas un coin ou on ne les
rencontre. A la vitrine claire des etalages, choisies et parees; a la
porte des prisons et des hospices, parmi les paquets de biscuits, les
tas de pommes; devant l'entree des bals, des spectacles du dimanche. Et
leur parfum exquis se mele a l'odeur du gaz, au bruit des crincrins, a
la poussiere des banquettes du paradis. On en vient a oublier qu'il faut
des orangers pour produire les oranges, car pendant que le fruit
nous arrive directement du Midi a pleines caisses, l'arbre, taille,
transforme, deguise, de la serre chaude ou il passe l'hiver, ne fait
qu'une courte apparition au plein air des jardins publics.
Pour bien connaitre les oranges, il faut les avoir vues chez elles, aux
iles Baleares, en Sardaigne, en Corse, en Algerie, dans l'air bleu dore,
l'atmosphere tiede de la Mediterranee. Je me rappelle un petit bois
d'orangers, aux portes de Blidah; c'est la qu'elles etaient belles! Dans
le feuillage sombre, lustre, vernisse, les fruits avaient l'eclat de
verres de couleur, et doraient l'air environnant avec cette aureole de
splendeur qui entoure les fleurs eclatantes. Ca et la des eclaircies
laissaient voir a travers les branches les remparts de la petite ville,
le minaret d'une mosquee, le dome d'un marabout, et au-dessus l'enorme
masse de l'Atlas, verte a sa base, couronnee de neige comme d'une
fourrure blanche, avec des moutonnements, un flou de flocons tombes.
Une nuit, pendant que j'etais la, je ne sais par quel phenomene ignore
depuis trente ans cette zone de frimas et d'hiver se secoua sur la ville
endormie, et Blidah se reveilla transformee, poudree a blanc. Dans cet
air algerien si leger, si pur, la neige semblait une poussiere de nacre.
Elle avait des reflets de plumes de paon blanc. Le plus beau, c'etait
le bois d'orangers. Les feuilles solides gardaient la neige intacte et
droite comme des sorbets sur des plateaux de laque, et tous les fruits
poudres a frimas avaient une douceur splendide, un rayonnement discret
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