te de
desespoir, a s'abimer dans la luxure ou a s'aneantir dans la mort; mais
sa curiosite le fait encore balancer entre le mystere du sphinx et les
fables de la chimere qui l'entraine a travers les mythes et les ebauches
de la creation, a l'intuition de ces germes de vie qui la contiennent
toute; il l'adore pour se relever et se remettre par la priere dans le
cycle des cultes, quand le soleil le rappelle de la speculation nocturne
a l'action diurne.
Dans ce livre, dans _Bouvard et Pecuchet_ qui en est l'analogue, plus
ironique et moins profond, Flaubert tente par une synthese generale, en
dehors de toute intrigue et de toute psychologie, de representer
l'histoire du developpement de l'esprit humain, de son insatiable
inquietude, sans cesse assaillie de solutions, de systemes, de
revelations qu'il adopte, qu'il subit et qu'il abandonne en une
revolution que le scepticisme de l'ecrivain le portait a concevoir
circulaire. Que l'on prenne le niais anachorete de la Thebaide ou les
deux bonshommes de Chavignolles, ces etres bornes, credules, dociles et
etonnes sont bien les representants de la dupe qu'il y a en tout homme.
L'imperissable myope, toujours zele de croire les images confuses et
partielles qu'il apercoit, alternant toute affirmation d'une autre,
adherant a la verite actuelle et oubliant constamment que l'ancienne fut
verite aussi, protege par ces continuels mirages contre la glacante
notion de l'inconnaissable dans la science et de l'inutile dans les
actes, parvient a vivre presque tranquille et presque heureux, en une
existence de reve et de paix.
C'est dans cette idee narquoise et amere, qu'est le fond de la
philosophie de Flaubert, la morale de ses romans et la signification de
ses poemes. Dans la _Tentation_ il s'est eleve a l'intuition pure de
cette idee speculative et la propose aux regards avec la moindre somme
d'elements connexes, mais non sans que ceux-ci interviennent. La suite
des visions n'est pas clairement symbolique; chacune d'elles est non de
fantaisie, mais extraite de livres et condense en quelques lignes tout
un ordre de renseignements positifs; enfin elles sont choisies aussi
pour leur beaute et leur mystere; a tel point que l'on peut tour a tour
considerer la _Tentation_ soit comme un poeme didactique, soit comme un
tableau des epoques antiques jusqu'au bas-empire, soit comme un
admirable et precieux ballet ou se melent la fantaisie et les
magnificences.
En cette oeuvre se reflete tout
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