oujours mobile." Et
cet homme a la carrure de cuirassier, qui semblait fait, avec sa mine
bonasse de reitre, pour courir les aventures, enlever les bataillons a
la charge, se tanner le cuir sous des soleils incendies ou de glaciales
bruines, passa sa vie,--domine par on ne sait quelle infime modification
vasculaire de son encephale,--comme un mince artisan, fabriquant, dans
l'ombre de la chambre, des objets infiniment delicats. Il ploya sa
longue stature a la mesure des fauteuils, sedentaire, sortant a peine,
crispant ses gros doigts gourds sur le fetu d'une plume; et la tete
courbee, le sang au front, les yeux injectes, il pesa des syllabes,
accoupla des assonances, equilibra des rhythmes, degagea le mot juste de
ses similaires, lia des vocables par d'indissolubles relations; il
peina, geignit et souffla a mettre en une forme a laquelle il requerait
des qualites compliquees et rares, de precises, images de realite ou de
grands reves de beaute, qui, s'efforcant de prendre forme, subjuguerent
a cette tache toute l'intelligence et tout le corps de cet enorme et
vigoureux et lourd tailleur de gemmes. Il peinait, il souffrait; les
minuties toujours mieux apercues de son metier, bornaient de plus en
plus son horizon intellectuel; il souhaita des succes de livres, puis
des succes de pages, puis des succes de phrases[5]; il sacrifia
graduellement toute sa vie a sa passion; il vecut dans le sourd malaise
des phenomenes, qui logent en leurs corps une ame heteroclite, jusqu'a
ce que cette despotique activite cerebrale, apres avoir impose au corps,
sans en etre atteinte, une maladie nerveuse,--l'epilepsie transitoire[6]
de sa jeunesse et de sa vieillesse,--l'aneantit et le foudroyat au pied
de sa table de travail par une derniere et deletere victoire d'un organe
sur un organisme.
Le destin de Gustave Flaubert aurait pu etre different, mais non plus
glorieux. Il lui appartient d'avoir introduit definitivement l'etude du
reel et l'erudition dans la litterature, d'avoir ecrit les plus beaux
livres de prose qui soient en francais; il lui est du encore d'avoir
fait resplendir un certain ideal de beaute energique et fiere, d'avoir
produit en la _Tentation de saint Antoine_ le plus beau poeme
allegorique qui soit apres _le Faust_.
NOTES:
[Note 2: Cette assertion dut rester a l'etat de simple hypothese.
Pensant que des acquisitions verbales, failles en etat de somnambulisme,
seraient l'analogue du souvenir inconscient que Flaubert
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