orielles, mais de simples
prolongements ideaux et qui tendaient pourtant comme les autres
vocables, a etre articulees.
Quand l'oeil de Flaubert etait braque sur la realite, les details
importants des choses et des hommes fidelement enregistres trouvaient
dans le vocabulaire de l'ecrivain une serie de mots exactement adaptes,
qui les rendaient d'une facon precise et du premier coup, en phrases
telles que chacune enveloppant l'idee a exprimer, entiere, il ne fut nul
besoin d'y revenir. C'est ce que nous avons appele le style statique
precis, et il n'y a la rien d'anormal, mais simplement la perfection du
langage usuel. Quand Flaubert dit a la premiere phrase de _Madame
Bovary_: "Nous etions a l'etude quand le proviseur entra suivi d'un
nouveau, habille en bourgeois, et d'un garcon de classe qui portait un
grand pupitre, ..." il dit simplement, en le moins de mots necessaires,
et en des mots simplement justes, un fait dont son imagination contenait
l'image. Et cette sobre exactitude est la moitie de son art et de son
style.
Mais une autre faculte existait dans son esprit, et provoquait d'autres
desirs. Par une cause inconnue, probablement en partie par suite de
lectures exclusivement romantiques, Flaubert possedait un grand nombre
de mots beaux, harmonieux, vagues, exprimant de la realite certaines
abstractions faites pour plaire plus que les choses, aux sens et a
l'esprit humains. Il s'etait empli l'oreille de cadences sonores,
l'intelligence d'images demesurees, d'adjectifs exaltes et amples, de
rutilantes visions verbales. Or nul ne peut emmagasiner en soi une
aptitude qui ne se transforme en desir et en acte. Cette force de son
intelligence purement vocabulaire, et a laquelle ses sens restes normaux
et actifs n'apportaient qu'un contingent d'images ou defectueuses, ou
hostiles, jamais animatrices,--ne pouvant s'employer a la description de
la realite, ou la faussant quand elle s'y adonnait, le contraignit, par
une echappatoire et par un compromis, a faire un livre d'archeologie, ou
tous les faits sont exacts, mais ou tous les faits ne se trouvent pas,
et sont choisis de facon a fournir au plus magnifique style de ce
temps, la faculte de se librement deployer. Dans _Salammbo_, dans la
_Tentation_, dans deux des _Trois contes_ c'est le verbe, le nombre de
la periode, l'eclat et le mystere des images, qui sont primitifs, et non
les incidents ou les scenes evidemment choisis de facon a donner lieu a
d'admirables phrase
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