tenant comme des ilots au milieu de
l'ecoulement des fuyards, par la nuit tombante, et sous le feu des
canons qui la trouent; cela est inhumain. M. Hugo possede les varietes
de la grandeur et les etale magnifiquement partout. Il sait etre
grandiose simplement dans une langue sculpturale et biblique, en un
style fauve et comme recuit aux beaux passages de la _Legende des
Siecles_. L'assaut des truands contre Notre-Dame, est d'une truculence
fumeuse. Le marquis de Lantenac luttant contre le canon de la "Claymore"
est froidement heroique. La marche de Gwynplaine dans le palais
somptueux et muet de Lord Clancharlie parait quelque chose de hagard et
d'enorme; la scene est monstrueuse ou Josiane, en sa lascive
demi-nudite, colle ses levres junoniennes a la face tailladee de son
hideux amant, et le regarde "fatale", avec ses yeux d'Aldebaran, rayon
visuel mixte, ayant on ne sait quoi de louche et de sideral.
Mais dans tous les livres du poete aucun recit ne monte plus haut au
sublime et au tragique que celui ou Gwynplaine mene dans le caveau de la
prison de Southwark apercoit le spectacle miserable de Hardquannone
soumis a la peine forte et dure. Les sourdes tenebres du lieu, les
vieilles et pueriles lois latines psalmodiees par le greffier, les
paroles surhumainement graves, adressees par le juge, une touffe de
fleurs a la main, a la miserable guenille d'homme devant lui, ecartele
nu entre quatre piliers et oppresse de masses de fer, la bouche ralante,
la barbe suante, la peau terreuse, muet et les yeux clos, cela est
enorme et admirable.
Toute l'oeuvre de M. V. Hugo est ainsi grandie et exaltee par ce don
d'amplification. Les personnages y sont des heros ou des monstres: de
Javert le "mouchard marmoreen" a Gauvain, le general de trente ans qui
possede "une encolure d'hercule, l'oeil serieux d'un prophete et le rire
d'un enfant...." Fantine, Mme Thenardier "la mijauree sous l'ogresse"
sont au-dela des deux frontieres extremes de l'humanite, de meme que les
guerriers de la _Legende des Siecles_ sont plus grands que des statues.
Tous les incidents sont des catastrophes, toutes les entreprises
heroiques, les passions et les emotions intenses, les intrigues
tenebreuses, et les vertus angeliques. S'il est vrai que l'oeuvre de M.
Hugo correspond a un monde plus simple que le notre, elle correspond
egalement a un monde gigantesque, ou des rafales aux passions, des
arbres aux crimes, de la beaute des cieux a la misere des humbles
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