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reception etait changee; la troisieme, il n'avait pas d'argent; enfin,
la quatrieme, il a daigne m'envoyer mon mois. Je ne sais pas si tout
cela est l'effet du hasard; c'est bien possible. Cependant tu devrais
y faire attention, au cas ou tu aurais des sommes d'une certaine
importance a deposer chez lui. Ensuite, tu devrais le prier de
m'envoyer mon argent tous les premiers du mois. Un homme d'affaires
n'est ni ambassadeur ni ministre, pour qu'on fasse antichambre chez
lui.
Adieu, mon ami. Ta grosse fille t'embrasse. Dis bien des choses de ma
part a Duteil et a Jules Neraud, quand tu les verras.
Adieu; je t'embrasse.
CIII
A M. FRANCOIS ROLLINAT, A CHATEAUROUX
Paris, 26 mai 1833.
Cher ami,
Tu ne penses pas que j'aie change d'avis. Tu es toujours a mes yeux le
meilleur et le plus honnete des hommes. Je ne t'ai pas donne signe de
souvenir et de vie depuis bien des mois. C'est que j'ai vecu des
siecles; c'est que j'ai subi un enfer depuis ce temps-la. Socialement,
je suis libre et plus heureuse. Ma position est exterieurement calme,
independante, avantageuse. Mais, pour arriver la, tu ne sais pas quels
affreux orages j'ai traverses. Il faudrait, pour te les raconter
passer bien des soirs dans les allees de Nohant, a la clarte des
etoiles, dans ce grand et beau silence que nous aimions tant. Dieu
veuille que ces temps nous soient rendus et que nous admirions encore,
ensemble, le clair de lune sur la cascade d'Urmont!
Mais cette independance si cherement achetee, il faudrait savoir en
jouir et je n'en suis plus capable. Mon coeur a vieilli de vingt ans,
et rien dans la vie ne me sourit plus. Il n'est plus pour moi de
passions profondes, plus de joies vives. Tout est dit. J'ai double le
cap. Je suis au port, non pas comme ces bons nababs qui se reposent
dans des hamacs de soie, sous les plafonds de bois de cedre de leurs
palais, mais comme ces pauvres pilotes qui, ecrases de fatigue et
brules par le soleil, sont a l'ancre et ne peuvent plus risquer sur
les mers leur chaloupe avariee. Ils n'ont pas de quoi vivre a terre,
et, d'ailleurs, la terre les ennuie. Ils ont eu jadis une belle vie,
des aventures, des combats, des amours, des richesses. Ils voudraient
recommencer; mais le navire est demate, la cargaison perdue; il faut
echouer sur le sable et rester la.
Tu comprends, au fond de cette belle poesie, l'etat maussade de mon
cerveau. Suis-je plus a plaindre qu'aupar
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