MAURICE DUDEVANT, A NOHANT
Paris, 27 fevrier 1833.
Tu me dis, mon enfant, que je ne t'ecris pas souvent. C'est toi, petit
farceur, qui es fierement paresseux a me repondre. Tu m'ecris des
petits bouts de lettre bien courts. J'aimerais tant a savoir tout ce
que tu fais, a quoi tu t'amuses, ce qui t'occupe, comment tu dors.
Enfin, je vais le savoir bientot. Tu diras a ton papa de m'ecrire
lorsqu'il sera pour partir, afin que j'aille au-devant de vous a la
diligence. Je te mettrai dans mon lit bien chaud; ta grosse soeur te
_bigera_ comme du pain. A present, elle t'appelle son petit bijou de
frere; elle est toujours mignonne et bien drole.
Ce matin, elle a eu bien du chagrin: elle a laisse tomber sa poupee
dans le jardin et les chiens la lui ont mangee. Quand elle est arrivee
pour la ramasser, il n'en restait qu'une jambe, que la chienne n'avait
pas pu digerer. Aussi la pauvre grosse a braille comme un veau.
Adieu, mon petit ange; embrasse tout le monde pour moi. Toi, je
t'embrasse mille fois sur tes joues roses. Adieu, petit cheri.
J'ai un beau petit chat gris, venu par les toits se donner a nous. Je
l'ai accueilli, il est tres bon enfant.
XCIX
A M. JULES BOUCOIRAN, A LA CHATRE
Paris, 6 mars 1833.
Mon cher enfant,
Vous etes sur le point de commettre une action tres belle ou tres
folle. Tres belle, si vous avez mis cette jeune fille dans la position
de ne pouvoir s'etablir ailleurs; tres folle, si vous obeissez a un
simple penchant.
On me recommande de vous arreter sur le bord de l'abime. Je ne saurais
croire que vous ayez besoin de conseil, au point ou vous en etes. Il
faut que vous ayez des motifs bien puissants pour accepter un lien
aussi severe avec une personne aussi differente de vous. Vous allez
trop vite. Prenez garde, mon ami, ne precipitez rien.
Mon Dieu, vous auriez sous la main la plus riche, la plus belle et la
plus spirituelle des femmes, je vous dirais encore d'attendre et de
reflechir. Ce ne sont pas l'opinion et les prejuges que je respecte en
ce monde. Seule entre tous, peut-etre, je ne vous jetterai pas la
pierre; mais je m'effraye de votre avenir. Vous etes si jeune et vous
aurez tant de choses a faire avant d'elever cette femme jusqu'a vous!
Je n'ose pas vous dire tous les deboires que je prevois pour vous. Je
crains de blesser votre coeur, engage dans une voie aussi delicate.
Mais je vous supplie de ne pas
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