s allant son petit train de vie. Polyte chante,
rit, fume et boit tout le jour. C'est toujours Roger Bontemps.
Adieu, chere petite mere; vous etes bien bonne d'avoir ete a la
diligence. Je suis bien fachee de n'avoir pu vous attendre.
Je vous embrasse de tout mon coeur.
Avez-vous des nouvelles de Caroline?
XCI
A M. FRANCOIS ROLLINAT, A CHATEAUROUX
Nohant, 20 aout 1832.
Mon vieux,
J'ai travaille comme un cheval, et je me sens si aise d'etre
debarrassee de ma journee, que, loin de faire du spleen, je me plonge
avec delices dans cette beate stupidite qu'il m'est enfin permis de
gouter. Ne t'attends donc pas a me voir repondre a toutes les choses
bonnes et excellentes que tu me dis. J'attendrai pour cela un jour ou
j'aurai de l'ame, un jour ou je serai Otello. Pour aujourd'hui, je
suis chien. Je dis que la vie n'est bonne qu'a gaspiller. J'ai mis
tout ce que j'avais de coeur et d'energie sur des feuilles de papier
Weynen. Mon ame est sous presse, mes facultes sont dans la main du
prote. Infame metier! Les jours ou je le fais, il ne me reste plus
rien le soir. Ce sont autant de jours ou il ne m'est pas permis de
vivre pour mon compte. Apres tout, c'est peut-etre un bonheur; car,
livree a moi-meme, je vivrais trop!
Dans deux jours, j'aurai fini _Valentine_, ou je serai morte. Veux-tu
que j'aille te voir la semaine prochaine? Fixe le jour. Si tu veux,
nous irons a Valencay. Cela t'arrange-t-il? J'ai tout le mois pour
courir, mais le froid viendra. Si tu m'en crois, tenons-nous prets aux
premiers jours de soleil qui reviendront, s'il en revient. J'avertirai
Gustave[1]. Reponds-moi donc et decide le jour; c'est a toi, qui n'es
pas libre quand tu veux, de regler l'ordre et la marche. Mais il faut
nous prevenir d'avance, afin de preparer nos pataches, nos pistolets
de voyage, nos pelisses fourrees, nos astrolabes, enfin tout
l'appareil du voyageur.
Je suis charmee qu'on m'accueille chez toi avec bienveillance. J'ai
fort envie de voir tous ces enfants; Juliette[2] surtout me plait.
Previens ta mere et tes grandes soeurs que j'ai excessivement mauvais
ton, que je ne sais pas me contenir plus d'une heure; qu'ensuite,
semblable au baron de Corbigny, "je ne puis m'empeche _de jurer et de
m'enivrer_". Que veux-tu! chacun a ses petites faiblesses, disait je
ne sais plus quel particulier, en faisant bouillir la tete de son pere
dans une marmite, pour la manger. Enfin garde-toi d
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