facilite dont les outrages du temps et de l'abandon n'ont pu triompher.
Dans plusieurs de ces panneaux, une belle jeune enfant, aussi longue et
tenue dans son grand corsage et sa robe en gaine que la dame chatelaine,
vetue plus simplement, mais avec plus de gout peut-etre, est representee
a ses cotes, lui tendant ici l'aiguiere et le bassin d'or, la un panier
de fleurs ou des bijoux, ailleurs l'oiseau favori. Dans un de ces
tableaux, la belle dame est assise en pleine face, et caresse de chaque
main de grandes licornes blanches qui l'encadrent comme deux supports
d'armoiries. Ailleurs, ces licornes, debout, portent a leurs cotes des
lances avec leur etendard. Ailleurs encore, la dame est sur un trone
fort riche, et il y a quelque chose d'asiatique dans les ornements de
son dais et de sa parure splendide.
Mais voici ce qui a donne lieu a plus d'un commentaire: le croissant est
seme a profusion sur les etendards, sur le bois des lances d'azur, sur
les rideaux, les baldaquins et tous les accessoires du portrait. La
licorne et le croissant sont les attributs gigantesques de cette
creature fine, calme et charmante. Or, voici la tradition.
Ces tapisseries viennent, on l'affirme, de la tour de Bourganeuf, ou
elles decoraient l'appartement du malheureux Zizim; il en aurait fait
present au seigneur de Boussac, Pierre d'Aubusson, lorsqu'il quitta la
prison pour aller mourir empoisonne par Alexandre VI. On a longtemps cru
que ces tapisseries etaient turques. On a reconnu recemment qu'elles
avaient ete fabriquees a Aubusson, ou on les repare maintenant. Selon
les uns, le portrait de cette belle serait celui d'une esclave adoree
dont Zizim aurait ete force de se separer en fuyant a Rhodes; selon un
de nos amis, qui est, en meme temps, une des illustrations de notre
province[2], ce serait le portrait d'une dame de Blanchefort, niece de
Pierre d'Aubusson, qui aurait inspire a Zizim une passion assez vive,
mais qui aurait echoue dans la tentative de convertir le heros musulman
au christianisme. Cette derniere version est acceptable, et voici
comment j'expliquerais le fait: lesdites tentures, au lieu d'etre
apportees d'Orient et leguees par Zizim a Pierre d'Aubusson, auraient
ete fabriquees a Aubusson par l'ordre de ce dernier, et offertes a Zizim
en present pour decorer les murs de sa prison, d'ou elles seraient
revenues, comme un heritage naturel, prendre place au chateau de
Boussac. Pierre d'Aubusson, grand maitre de Rhodes, et
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