beaucoup d'interet et d'encouragement.
J'ai recu des nouvelles de Francoeur[2]. Il a fait, je crois, un rude
voyage. Mais enfin il respirait librement quand il m'a ecrit, et son
moral n'etait nullement affecte. Il etait a Philippeville, ne sachant
encore ou on le fixerait, et comptant trouver a travailler partout, vu
le bon accueil des populations. Les autres etaient aussi arrives a bon
port.
Courage, mon enfant! Souffrir est notre etat, et il faut bien l'accepter
sans regret, puisque de certaines satisfactions de bourse et de ventre
ne sont pas de notre gout. La vie n'est pas arrangee pour que ceux qui
mettent l'esprit au-dessus de la matiere ne souffrent pas: ce sont les
revenants-bons d'une situation que nous avons acceptee d'avance, le jour
ou nous avons cru a l'esprit de Dieu agissant dans l'humanite; et nous
savions bien que nous serions payes dans ce monde en calomnies et en
actes de rigueur, tant que l'humanite repousserait Dieu. C'est la son
mal. Le genre humain est a la violence, aux attentats mutuels; et a ceux
qui les reprouvent et qui revent la fraternite, on repond: "Bah! ce
n'est pas possible, vous ne pouvez pas ne pas hair."
Triste temps, mon Dieu! Mais perdrons-nous la foi? Non certes! ne nous
repentons jamais de n'avoir pas merite ce que nous souffrons. C'est
dans une conscience solidement pieuse que nous trouverons le remede au
decouragement, et je me bats contre la tristesse qui s'est emparee de
moi, en me disant a toute heure: "Qui peut m'empecher d'aimer et de
croire?"
Comptez, cher enfant, que l'eloignement ne changera pas le coeur de vos
amis et que le mien vous benit tendrement et maternellement.
G. SAND.
[1] Alors en exil, par suite des proscriptions qui eurent lieu apres
l'attentat d'Orsini.
[2] Jean Patureau, interne en Algerie.
CDXXXI
AU MEME
Nohant, 23 avril 1858.
Cher enfant, Angele m'envoie votre lettre du.... sans date, celle ou
vous exprimez de l'inquietude et de l'impatience de n'avoir pas de nos
nouvelles. J'espere qu'a present tout vous est arrive et que, s'il y a
eu retard, la cause doit etre attribuee par vous a toute autre chose que
la negligence. J'ai envoye, il y a quelques jours, le lendemain de votre
lettre a moi, une longue lettre de moi pour vous a _Sol_[1]; l'avez-vous
recue? Quant a Angele, elle n'a fait, je crois, que vous ecrire depuis
votre depart. Mais il fallait s'attendre a cette epreuve des prem
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