core plus que de mes peines
personnelles. Mais, en suivant votre devise: "Faire ce qu'on doit sans
regretter sa peine et sans connaitre le depit d'echouer," je sentais
bien d'avance qu'il ne fallait pas esperer, et que les mauvais conseils
etaient trop nombreux autour de celui dont l'etat est d'etre abuse. Je
vous ai encore ecrit hier; c'est ce matin seulement que j'ai recu votre
lettre et celle de l'empereur.
Il n'y a donc plus rien a faire. Tout ce qui etait possible, vous
l'avez fait. Dieu vous en tiendra compte. Il vous en tient compte deja,
puisqu'il vous rend votre excellent pere, votre meilleur ami. C'est la
pensee qui m'est venue tout de suite, en suivant dans les journaux
les bulletins de sa sante. Je me suis dit que, pendant ces jours
d'inquietude, vous aviez pense a ceux qui souffraient, et que cela vous
avait porte bonheur.
Nos amis ont du partir aujourd'hui. Comment? avec quels egards ou
quelles duretes? je ne le sais pas encore. Je ne peux pas aller aupres
d'eux leur serrer la main. On dirait que c'est une _manifestation_. Je
les crois resignes et courageux. Je suis sure au moins d'une chose:
c'est qu'ils demandent a Dieu de les garder dans cette religion de
douceur et d'humanite quand meme, qu'a travers tant de chagrins, nous
nous conseillons les uns aux autres depuis dix ans. Je n'ai pas pu leur
dire directement ce que vous avez tente et affronte pour eux; mais ils
l'ont bien devine, et leur coeur s'en souviendra dans l'exil. Ils sont
purs des projets subversifs et des trahisons dont on les accuse, c'est
la leur consolation.
Et, toute la journee, tous les jours, j'ai parle de vous, avec mon
fidele tete-a-tete. Nous nous disions combien sont imprevues les
eventualites de ce monde, et, tout souffrant, tout comprime, tout peine
que vous etes, nous ne vous desirions pas la funeste tache d'avoir a
gouverner un jour une societe quelconque, en quelque lieu du monde que
ce fut.
C'est un acces de misanthropie bien naturel que de desesperer d'une
epoque ou on trouve tant de delateurs, de calomniateurs et de
persecuteurs. On se met a chercher sur la terre un coin ou on ait la
liberte d'etre honnete homme, et on est tente d'aller, comme Alceste, le
chercher au milieu des bois.
Enfin, prenez courage, vous qui etes jeune, et qui verrez peut-etre une
meilleure generation grandir sous vos yeux. Si quelque chose doit vous
reconforter, c'est que vous serez compris et aime de tout ce qui vaut
encore quelque cho
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