se bouche les oreilles!_
Je n'ai pas de nouvelles de l'affaire du pauvre Defressine[1]. Demande a
M. Bixio si le prince s'en occupe et s'il y peut quelque chose.
Tu nous avais promis, de par ta science agricole et economique, que le
ble n'augmenterait pas. Il augmente affreusement et il y a beaucoup de
misere ici. Heureusement, le froid n'a pas persiste; car nous etions
au bout de nos fagots, et les pauvres faisaient triste mine. Le bois
augmente toujours et, qui pis est, il est rare. Nous sommes obliges d'en
abattre pour nous chauffer et de le bruler vert.
Voyons, je m'imaginais, que, depuis que tu faisais dans un journal
savant, nous n'allions plus manger que des ananas et des oranges; que le
vin allait pousser sur les tuiles des toits et le pain tout cuit dans
les champs. Je vois bien que tu es un gros paresseux et que tu laisses
tout aller a la diable.
Aucante, que j'attendais hier pour mettre sa lettre dans la mienne, me
dit ce soir qu'il t'a repondu au sujet des livres: ainsi je n'ai plus a
te parler que de tes chutes, qui me paraissent trop multipliees, et je
commence a craindre une demolition. Tache donc de faire vite fortune,
afin d'aller toujours en voiture, et surtout de venir nous voir.
Je me livre au jardinage avec furie, par tous les temps, cinq heures
par jour, avec Nini a cote de moi, piochant et brouettant aussi.
Cela m'abrutit beaucoup, et la preuve, c'est que, tout en bechant et
ratissant, je me mets a faire des vers. Les premiers que je livrerai a
la publicite me sont venus a propos de ce pauvre cher Planet, et je les
ai faits tout en bechant et en pleurant. Je ne les fais imprimer que
dans le journal d'Arnaud[2], n'ayant plus _l'Eclaireur_, helas! et j'en
interdis la reproduction; car je ne me pique pas de savoir faire de bons
vers, et je ne voudrais pas, a propos d'une tristesse serieuse et vraie,
servir d'aliment a une discussion litteraire. Je les ai faits pour moi
d'abord, et puis je me suis dit que, la police ayant interdit aux amis
du cher mort de prononcer un mot d'eloge prive sur sa tombe, une petite
poesie ou il n'y a pas la moindre allusion politique remplacerait,
autant que possible, l'hommage du coeur qu'il n'a pas ete permis de lui
decerner.
Je t'enverrai cela, tu le donneras a ceux de ses plus proches amis que
tu connais, en les prevenant bien que cela n'a pas la pretention d'etre
autre chose qu'un _ex-voto_. Bonsoir, mon cher vieux; ecris-nous
souvent. Nous t'embrassons d
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