indignee
s'enfuit sous le ciel bas, entre la lande et l'Ocean.
Sainte-Anne-d'Auray, 28 juillet.
C'etait le jour du Pardon. On sait qu'on appelle pardon, en Bretagne, la
fete paroissiale d'une eglise ou d'une chapelle. Les pelerins qui s'y
rendent y gagnent des indulgences, moyennant certaines pratiques pieuses
et quelques dons au saint ou a la sainte. Dans leur seigneurie, les
saints de Bretagne ont garde la simplicite rustique. Ils acceptent des
dons en nature. Encore faut-il leur payer la redevance selon l'usage et
la coutume. Notre-Dame de Relec ne veut que des poules blanches. Sainte
Anne, sa mere, n'a point cette delicatesse: elle recoit tous les
presents, et sa couronne est faite des joyaux des dames de Lorient et de
Quimper.
Il y a une petite lieue de la gare a Sainte-Anne. Le chemin qui, a
travers la lande, conduit au village, etait, quand nous le primes,
couvert de pelerins. Les coiffes blanches des paysannes brillaient au
soleil, comme des ailes d'oiseaux de mer. Les hommes en veste brune, et
coiffes du large chapeau d'ou pend un ruban noir, allaient en silence,
appuyes sur leur baton de cornouiller. Et tout le long du chemin
s'etendait une double haie de mendiants.
Les uns, vieillards aveugles, blancs et chevelus, la main posee sur la
tete d'un enfant, semblaient, dans leur majeste lamentable, les derniers
bardes. Plus avant, une femme elevait en gemissant, sur le ciel bleu qui
couvrait la lande, un bras si mutile, si depouille de chair, si
dechiquete et si etrangement termine par une main ou ne restait plus que
deux doigts, qu'on eut dit un bois de cerf trempe dans le sang des
chiens decousus. Ailleurs se dressait une grande forme humaine terminee
par une masse de chair sanguinolente et tumefiee qu'on ne reconnaissait
pour un visage que parce qu'elle en occupait la place. Puis c'etaient
cote a cote, et appuyes les uns sur les autres, des innocents qui se
ressemblaient par le vide du regard, par l'immobilite du sourire, par un
perpetuel tremblement de tout le corps, et aussi par un air de famille;
car ils etaient freres et soeurs, et peut-etre, appuyes les uns aux
autres, le sentaient-ils confusement. L'un d'eux, grand jeune homme a la
barbe bouclee, vetu d'une robe de femme, ouvrait tout grands des yeux
bleus qui faisaient peur; on sentait que toutes les images de l'univers
n'y entraient que pour s'y perdre. Et la, debout dans sa robe grise, de
forme antique, plus etrange que ridicule, il avait l'ai
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