Ce n'est pas la proprement une poesie populaire; ces vers sont l'oeuvre
de quelque bon recteur qui savait le francais dans les regles. Ils se
chantent sur un vieil air triste a pleurer.
Il y a en face de l'eglise un double escalier d'un assez beau style.
C'est une imitation de la Scala santa de Rome dont les degres sont toute
l'annee recouverts d'un tablier de bois. L'escalier d'Auray, comme
l'autre, ne se monte qu'a genoux. On gagne neuf annees d'indulgences
pour chacune des marches ainsi gravies. Je vis une centaine de femmes
occupees a cet exercice salutaire. Mais je dois dire que, pour la
plupart, elles trichaient. Je les voyais fort bien poser le pied sur les
degres. La chair est faible. D'ailleurs, l'idee de tromper saint Pierre
doit venir tres naturellement a l'esprit d'une femme.
Cet escalier est de style Louis XIII, ainsi que le cloitre adosse a
l'eglise. Le culte de sainte Anne d'Auray ne remonte pas plus haut que
le XVIIe siecle. L'origine en est due aux visions d'un pauvre fermier de
Keranna, nomme Yves Nicolazic.
Ce brave homme avait des hallucinations de l'oeil et de l'ouie. Parfois,
il voyait un cierge allume et, quand il revenait la nuit a la maison, le
flambeau marchait a son cote, sans que le vent agitat la flamme. Par un
soir d'ete, comme il menait ses boeufs boire a a fontaine, il vit un
belle dame, vetue d'une robe d'une eclatante blancheur. Cette dame
revint plusieurs fois le visiter dans sa maison et dans sa grange.
Un jour, elle lui dit:
"Yves Nicolazic, ne craignez point: je suis Anne, mere de Marie. Dites a
votre recteur que, dans la piece appelee le Bocenno, il y a eu
autrefois, meme avant qu'il y eut aucun village, une chapelle dediee en
mon nom. C'etait la premiere de tout le pays, et il y a neuf cent
vingt-quatre ans et six mois qu'elle a ete ruinee. Je desire qu'elle
soit rebatie au plus tot et que vous en preniez soin. Dieu veut que j'y
sois honoree."
Les visions du fermier Nicolazic n'ont rien de singulier. Avant lui
Jeanne d'Arc, apres lui le marechal-ferrant de Salon, qui fut conduit a
Louis XIV, et plus recemment le laboureur Martin de Gallardon eurent des
hallucinations semblables et recurent d'un personnage celeste une
mission particuliere. Comme Jeanne, comme le marechal-ferrant, comme
Martin, le fermier de Keranna resista d'abord a la voix du ciel,
alleguant sa faiblesse, son ignorance, la grandeur de la tache. Mais la
dame de la fontaine insista; sa parole devint
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