|
r d'une statue
taillee par un vieil imagier et qu'une puissance tenebreuse animait,
comme cela est conte dans les vieux contes. Ces mendiants sont une des
beautes de la Bretagne, une des harmonies de la lande et du rocher.
Le chemin, sillonne de pelerins et borde de pauvres, aboutit a la grande
place sur laquelle s'eleve l'eglise de Sainte-Anne. Une foule rustique
l'emplit. Toutes les paroisses du Morbihan sont la, et celles des iles
patriarcales d'Houat et d'Hoedic. Des pelerins sont venus en grand
nombre du pays de Treguier, du Leonnois et de la Cornouaille. Les hommes
ont attache au chapeau des brins d'ajonc et de bruyere. Mais c'en est
fait du vieux costume celtique, et le paysan ne porte plus les braies
seculaires, le bragonbras bouffant. Ils ont tous, meme ceux du
Finistere, un pantalon noir comme le senateur Soubigou. Les femmes,
heureusement, ont garde la coiffure nationale. Leurs coiffes blanches,
tantot relevees en coquille sur le haut de la tete, tantot pendantes sur
les epaules, mettent dans les assemblees une grace tres douce, profonde
et triste. La grande cornette des Vannetaises, le beguin empese des
femmes d'Auray, le serre-tete austere qui cache les cheveux des filles
de Quimperle, le bonnet aux ailes soulevees de celles du Pont-Aven, la
coiffe de dentelle de Rosporden, le diademe de drap d'or et de pourpre
de Pont-l'Abbe, les barbes, tendues comme des voiles, de Saint-Thegonec,
le bavolet de Landerneau, toutes ces coiffures portees depuis tant de
siecles chargent ces tetes nouvelles de toute la melancolie du passe.
Sur ces visages fletris en quelques annees, et courbes sur cette dure
terre qui les recouvrira bientot, la coiffe des aieules garde sa forme
immuable. Passant des meres aux filles, elle enseigne que les
generations succedent aux generations et qu'en la race seule est la
suite et la duree. Ainsi le pli d'un morceau de toile nous donne l'idee
d'un temps beaucoup plus long que celui de l'existence humaine.
Vetues de noir, les joues, le cou voiles, les femmes du Morbihan ont
l'air de religieuses. Leur plus grande beaute est dans leur douceur.
Assises sur leurs talons, dans l'attitude qui leur est habituelle, elles
ont une grace paisible et lourde assez touchante. Coiffees et vetues
comme elles, leurs fillettes sont charmantes, sans doute parce que
l'austerite du costume rend plus sensible la fraicheur riante de
l'enfance. Il n'y a rien de joli comme ces petites beguines de sept ou
huit ans. E
|