je trouve assez naturel; mais qu'il
veuille me rendre responsable de son infortune, voila ce que j'ai peine
a comprendre. Le plus curieux est qu'il se montre particulierement aigre
avec moi, qui n'ai cesse de lui temoigner une sympathie reelle et qui
lui rends de menus services, a l'occasion.
Il y a encore Devrigny, un vrai Parisien, bavard, sanguin, rouge de poil
et de temperament. On ne sait jamais s'il parle de facon serieuse. Il ne
songe qu'a coucher avec des femmes et il ne regarde pas son gibier de
trop pres. Il n'est pas bete, Devrigny, mais c'est un de ces gars qui,
ayant a choisir entre la compagnie de Victor Hugo et celle de
Frise-Poupou, la bonne du bistro Marquet, prefereraient a coup sur la
bonne, avec toutes ses maladies. Je vous prie de croire que je ne dis
pas ca parce que Devrigny m'a lache plus de cent fois, quand nous etions
ensemble, pour filer aux trousses de petits souillons qui l'ont
passablement abruti et finiront par l'abrutir tout a fait. Enfin,
passons! Cet homme-la suit sa voie et agit comme bon lui semble.
Je peux aussi vous nommer Vitet, un camarade de regiment, un homme qui a
failli devenir mon ami, un homme qui m'a fait beaucoup de mal. Depuis
sept ans que nous avons fini notre service, je rencontre Vitet assez
regulierement: il est employe des postes et voyage, deux fois par
semaine, entre Nevers et Paris. Quand nos heures de liberte concordent,
il vient me voir, s'il lui prend fantaisie de torturer quelqu'un, ou
bien je vais moi-meme le chercher, si j'eprouve le besoin de souffrir,
ce qui m'arrive de temps en temps, comme a tout le monde, quoi qu'on
pense.
Vitet possede un caractere execrable, mais egal. Il est feroce avec
constance, avec serenite. Si vous etes tourmente d'un genereux
enthousiasme, souleve par des desirs ardents, emu de projets audacieux,
allez voir Vitet. Je ne lui donne pas dix minutes pour vous recurer
l'ame, pour vous purger le coeur de toutes vos belles ambitions, pour
vous laisser plus nu, plus pauvre, plus depourvu que jamais.
S'il me pousse, quelque jour, une idee assez vivace pour resister a une
heure de Vitet, ma confiance en moi n'aura plus de limite. Vitet? Un
destructeur! Son arme favorite est un mot, insignifiant en apparence,
mais plus tranchant qu'un scalpel et plus acere qu'un aiguillon. Quand
je me laisse aller au contentement, a l'espoir, a l'exaltation, Vitet me
regarde une seconde avec ses petits yeux bordes de cils d'un blond
blanc, et il d
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