trouve une place, elle a donne son enfant
a une vieille pour le ramener au pays.
"Elle les a accompagnes au chemin de fer.
"Depuis on n'en a plus jamais entendu parler.
--Et ta femme, mon pauvre Maugendre?
--Quand on lui a appris la nouvelle, ca a fait tourner son lait.
"Elle est morte."
Ils se turent tous deux, Louveau emu de ce qu'il venait d'entendre,
Maugendre accable par ses souvenirs.
Ce fut le charpentier qui parla le premier:
"Pour me punir, je me suis condamne a l'existence que je mene.
"J'ai vecu douze ans a l'ecart de tous.
"Je n'en peux plus. J'ai peur de mourir seul.
"Si tu as pitie de moi, tu me donneras Victor, pour me remplacer
l'enfant que j'ai perdu."
Louveau etait tres embarrasse.
Victor leur coutait cher.
Mais, si on se separait de lui au moment on il allait pouvoir se rendre
utile, tous les sacrifices qu'on s'etait imposes pour l'elever seraient
perdus.
Maugendre devina sa pensee:
"Il va sans dire, Francois, que, si tu me le donnes, je te dedommagerai
de tes frais.
"Ca serait aussi une bonne affaire pour le petit. Je ne peux jamais voir
les eleves forestiers dans les bois sans me dire: J'aurais pu faire de
mon garcon un monsieur comme ces messieurs-la.
"Victor est laborieux et il me plait. Tu sais bien que je le traiterai
comme mon fils.
"Voyons, est-ce dit?"
On en causa le soir, les enfants couches dans la cabine de la
_Belle-Nivernaise_.
La femme de tete essaya de raisonner.
"Vois-tu, Francois, nous avons fait pour cet enfant-la tout ce que nous
avons pu.
"Dieu sait qu'on desirait le garder!
"Mais, puisqu'il s'offre une occasion de nous separer de lui sans le
rendre malheureux, il faut tacher d'avoir du courage."
Et, malgre eux, les yeux se tournerent vers le lit, ou Victor et Mimile
dormaient d'un sommeil d'enfants, calme et abandonne.
"Pauvre petit!" dit Francois d'une voix douce.
Ils entendaient la riviere clapoter le long du bordage, et, de temps en
temps, le sifflet du chemin de fer dechirant la nuit.
La mere Louveau eclata en sanglots:
"Dieu aie pitie de nous, Francois, je le garde!"
CHAPITRE IV
LA VIE EST RUDE.
Victor touchait a ses quinze ans.
Il avait pousse tout d'un coup, le petit palot, devenant un fort gars
aux epaules larges, aux gestes tranquilles.
Depuis le temps qu'il naviguait sur la _Belle-Nivernaise_, il commencait
a connaitre son chemin comme un vieux marinier, nommant les bas-fonds,
flairant
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