Cette voix criarde remue toute la lie des mauvais souvenirs, empoisonne
sa vie.
Elle lui rappelle les jours noirs de la premiere enfance, le taudis
du faubourg du Temple, les coups, les querelles, tout ce qu'il avait
oublie.
Et il se raccroche desesperement aux images de Clara, de la
_Belle-Nivernaise_, comme a une eclaircie de soleil, dans le sombre de
sa vie.
Et c'est sans doute pour cela que le pion trouve avec stupefaction des
dessins de bateaux a toutes les pages des livres de l'eleve Maugendre.
Toujours la meme chaloupe reproduite a tous les feuillets avec une
obstination d'obsede.
Tantot, elle gravit lentement, resserree comme dans un canal, l'echelle
etroite des marges.
Tantot, elle vient s'echouer en plein theoreme, eclaboussant les figures
intercalees et les corollaires en petit texte.
Tantot, elle navigue a pleines voiles sur les oceans des planispheres.
C'est la qu'elle se carre a l'aise, qu'elle deploie ses voiles, qu'elle
fait flotter son drapeau.
M. le principal, lasse des rapports circonstancies qu'on lui adresse a
ce sujet, finit par en parler a M. Maugendre le pere.
Le charpentier n'en revient pas.
"Un garcon si doux!
--Il est tetu comme un ane.
--Si intelligent!
--On ne peut rien lui apprendre."
Et personne ne peut comprendre que l'eleve Maugendre a appris a lire en
plein bois, par-dessus l'epaule de Clara, et que ce n'est pas la meme
chose que d'etudier la geometrie, sous la ferule d'un pion hirsute.
Voila pourquoi l'eleve Maugendre degringole de l'etude des "moyens" dans
l'etude des "petits".
C'est qu'il y a une singuliere difference entre les lecons du Magister
de Corbigny et celles de MM. les professeurs du college de Nevers.
Toute la distance qui separe un enseignement en bonnet de peau de lapin
d'un enseignement en toque d'hermine.
Le pere Maugendre se desespere.
Il lui semble que le forestier en bicorne s'eloigne a grandes enjambees.
Il gronde, il supplie, il promet.
"Veux-tu des lecons?
"Veux-tu des maitres?
"Je te donnerai les meilleurs.
"Les plus chers!"
En attendant, l'eleve Maugendre devient un cancre, et les "bulletins
trimestriels" constatent impitoyablement sa "turpitude".
Lui-meme, il a le sentiment de sa sottise.
Il s'enfonce tous les jours davantage dans l'ombre et dans la tristesse.
Si Clara et les autres pouvaient voir ce qu'on a fait de leur Victor!
Comme ils viendraient ouvrir toutes grandes les portes de sa p
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