luisant dans l'herbe. C'est la
qu'il passait sa vie, etendu de tout son long, silencieux, immobile, des
fourmis rouges plein sa barbe. Quand il avait faim, il allongeait le
bras et ramassait une figue ou une banane ecrasee dans le gazon pres de
lui; mais s'il eut fallu se lever et cueillir un fruit sur sa branche,
il serait plutot mort de faim. Aussi, dans son jardin, les figues
pourrissaient sur place, et les arbres etaient cribles de petits
oiseaux.
Cette paresse effrenee avait rendu Lakdar tres populaire dans son pays.
On le respectait a l'egal d'un saint. En passant devant son petit clos,
les dames de la ville qui venaient de manger des confitures au
cimetiere, mettaient leurs mules au pas et se parlaient a voix basse
sous leurs masques blancs. Les hommes s'inclinaient pieusement, et,
tous les jours, a la sortie de l'ecole, il y avait sur les murailles
du jardin toute une volee de gamins en vestons de soi rayee et
bonnets rouges, qui venaient essayer de deranger cette belle paresse,
appelaient Lakdar par son nom, riaient, menaient du train, lui jetaient
des peaux d'orange.
Peine perdue! Le paresseux ne bougeait pas. De temps en temps on
l'entendait crier du fond de l'herbe: "Gare, gare tout a l'heure, si je
me leve!" mais il ne se levait jamais.
Or, il arriva qu'un de ces petits droles, en venant comme cela faire des
niches au paresseux, fut en quelque sorte touche par la grace, et, pris
d'un gout subit pour l'existence horizontale, declara un matin a son
pere qu'il entendait ne plus aller a l'ecole et qu'il voulait se faire
paresseux.
"Paresseux, toi?... fit le pere, un brave tourneur de tuyaux de pipe,
diligent comme une abeille et assis devant son tour des que le coq
chantait... Toi, paresseux?... En voila une invention!"
--Oui, mon pere, je veux me faire paresseux... comme Sidi Lakdar...
--Point du tout, mon garcon. Tu seras tourneur comme ton pere, ou
greffier au tribunal du Cadi comme ton oncle Ali, mais jamais je ne
ferai de toi un paresseux... Allons, vite, a l'ecole; ou je te casse sur
les cotes ce beau morceau de merisier tout neuf... Arri, bourriquot!"
En face du merisier, l'enfant n'insista pas et feignit d'etre convaincu;
mais, au lieu d'aller a l'ecole, il entra dans un bazar maure, se
blottit a la devanture d'un marchand, entre deux piles de tapis de
Smyrne, et resta la tout le jour, etendu sur le dos, regardant les
lanternes mauresques, les bourses de drap bleu, les corsages a plastron
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