seaux et
d'attraper de grands coups de soleil sur sa figure halee. Avec M. Klotz,
tout a change.
Le pauvre Gaspard, qui avait deja eu tant de mal a se mettre au
francais, n'a jamais pu apprendre un mot d'allemand. Il se butte des
heures entieres sur la meme declinaison, et l'on sent bien, dans ses
sourcils fronces, encore plus d'entetement et de colere que
d'attention. A chaque lecon, la meme scene recommence: "Gaspard Henin,
levez-vous!..." Henin se leve en boudant, se balance sur son pupitre,
puis se rassied sans dire une parole. Alors le maitre le bat, Mme Klotz
le prive de manger. Mais ca ne le fait pas apprendre plus vite. Bien
souvent, le soir, en montant dans la petite chambre, je lui ai dit: "Ne
pleure donc pas, Gaspard, fais comme moi. Apprends a lire l'allemand,
puisque ces gens-la sont les plus forts." Mais lui me repondait toujours:
"Non, je ne veux pas... je veux m'en aller, je veux m'en retourner chez
nous." C'etait son idee fixe.
Sa _languitude_ des commencements lui etait revenue encore plus forte,
et le matin, au petit jour, quand je le voyais assis sur son lit, les
yeux fixes, je comprenais qu'il pensait au moulin en train de s'eveiller
a cette heure, et a la belle eau courante dans laquelle il a barbote
toute sa vie d'enfant. Ces choses l'attiraient de loin, et les
brutalites du maitre ne faisaient que le pousser vers sa maison encore
plus vite et le rendre tout a fait sauvage. Quelquefois, apres les coups
de trique, en voyant ses yeux bleus se foncer de colere, je me disais
qu'a la place de M. Klotz j'aurais peur de ce regard-la. Mais ce diable
de Klotz n'a peur de rien. Apres les coups, la faim; il a encore invente
la prison, et Gaspard ne sort presque plus. Pourtant, dimanche dernier,
comme il n'avait pas pris l'air depuis deux mois, on l'emmena avec nous
dans la prairie communale, hors du village.
Il faisait un temps superbe, et nous, nous courions de toutes nos forces
dans de grandes parties de barres, heureux de sentir la bise froide, qui
nous faisait penser a la neige et aux glissades. Comme toujours, Gaspard
se tenait a l'ecart de la lisiere du bois, remuant les feuilles, coupant
des branches, et se faisant des jeux a lui tout seul! Au moment de
se mettre en rang pour partir, plus de Gaspard. On le cherche, on
l'appelle. Il s'etait echappe. Il fallait voir la colere de M. Klotz. Sa
grosse figure etait pourpre, sa langue s'embarrassait dans les jurons
allemands. C'est nous qui etions cont
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