presentai,
je l'ignore. Un domestique annonca mon nom, mais ce nom, bredouille
d'ailleurs, ne produisit aucun effet sur l'assemblee. Je me rappelle
seulement une voix de femme qui disait:
"--Tant mieux, un danseur!" Il parait qu'on en manquait. Quelle entree
pour un lyrique!
Terrifie, humilie, je me dissimulai dans la foule. Dire mon
effarement!... Au bout d'un instant, autre aventure: mon etrange habit,
mes longs cheveux, mon oeil boudeur et sombre provoquaient la curiosite
publique. J'entendais chuchoter autour de moi: "Qui est-ce?... regardez
donc..." et l'on riait. Enfin quelqu'un dit: "C'est le prince valaque!
--Le prince valaque?... ah! oui, tres bien..." Il faut croire que, ce
soir-la, on attendait un prince valaque. J'etais classe, on me laissa
tranquille. Mais c'est egal, vous ne sauriez croire combien, pendant
toute la soiree, ma couronne usurpee me pesa. D'abord danseur, puis
prince valaque. Ces gens-la ne voyaient donc pas ma lyre?
Enfin, les quadrilles commencerent. Je dansai, il le fallut! Je
dansai meme assez mal, pour un prince valaque. Le quadrille fini, je
m'immobilisai, sottement bride par ma myopie, trop peu hardi pour
arborer le lorgnon, trop poete pour porter lunettes, et craignant
toujours au moindre mouvement de me luxer le genou a l'angle d'un meuble
ou de planter mon nez dans l'entre-deux d'un corsage. Bientot la faim,
la soif s'en melerent; mais pour un empire, je n'aurais ose m'approcher
du buffet avec tout le monde. Je guettais le moment ou il serait vide.
En attendant, je me melais aux groupes des politiqueurs, gardant un
air grave, et feignant de dedaigner les felicites du petit salon d'ou
m'arrivait, avec un bruit de rires et de petites cuillers remuees dans
la porcelaine, une fine odeur de the fumant, de vins d'Espagne et de
gateaux. Enfin, quand on revient danser, je me decide. Me voila entre,
je suis seul... Un eblouissement, ce buffet! c'etait, sous la flamme des
bougies, avec ses verres, ses flacons, une pyramide en cristal, blanche,
eblouissante, fraiche a la vue, de la neige au soleil. Je prends un
verre, frele comme une fleur; j'ai bien soin de ne pas serrer par
crainte d'en briser la tige. Que verser dedans? Allons! du courage,
puisque personne ne me voit. J'atteins un flacon en tatonnant, sans
choisir. Ce doit etre du kirsch, on dirait du diamant liquide. Va donc
pour un petit verre de kirsch; j'aime son parfum qui me fait rever de
grands bois, son parfum amer et un peu s
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