s, comme tu sais,
l'ami des boeufs et le patron des bouviers; a ce titre, je cours la
Camargue, Arles, Nimes, Beaucaire, Tarascon, et je connais tout ce brave
peuple, et je sais comme il faut le prendre. Ces gens-la, vois-tu,
sauteraient dans le feu pour voir une course de taureaux... Attends un
peu. Je me charge de l'expedier, ton Jarjaille."
A ce moment passait par la un vol de petits anges tout joufflus.
"Petits! leur fait saint Luc, pst! pst!..."
Les angelots descendent.
"Allez-vous en doucement dehors du Paradis, et quand vous serez devant
la porte, vous passerez en courant et vous crierez comme a Saint-Remy
aux courses de taureaux: Les boeufs! les boeufs!... Oh! te! Oh! te! Les
fers! les fers!..."
C'est ce que font les anges. Ils sortent du Paradis, et quand ils sont
devant la porte, ils se precipitent en criant: "Les boeufs!... Oh!
te!... Oh! te!..."
En entendant cela, Jarjaille, mon bon Dieu! se retourne stupefait: "Tron
de l'er!
"Ici, aussi, on fait courir les boeufs! Vite... vite..." Et il se lance
vers la porte comme un fou, et il sort du Paradis, le pauvre!
Saint Pierre vitement pousse la porte sur lui, met la barre, et passant
ensuite la tete au fenestron:
"Eh bien! Jarjaille, lui dit-il en riant, comment te trouves-tu,
maintenant?
--Oh! replique Jarjaille, c'est egal! si c'avait ete les boeufs, je
n'aurais pas regrette ma part de Paradis."
Et, ce disant, il pique une tete dans l'eternite.
LA FIGUE ET LE PARESSEUX
LEGENDE ALGERIENNE
Dans l'indolente et voluptueuse petite ville de Blidah, quelques annees
avant l'invasion des Francais, vivait un brave Maure qui, du nom de
son pere, s'appelait Sidi Lakdar et que les gens de sa ville avaient
surnomme le Paresseux.
Vous saurez que les Maures d'Algerie sont les hommes les plus indolents
de la terre, ceux de Blidah surtout; sans doute a cause des parfums
d'oranges et des limons doux dont la ville est noyee. Mais, en fait de
paresse et de nonchaloir, entre tous les Blidiens, pas un ne venait a
la ceinture de Sidi Lakdar. Le digne seigneur avait eleve son vice a la
hauteur d'une profession. D'autres sont brodeurs, cafetiers, marchands
d'epices. Sidi Lakdar, lui, etait paresseux.
A la mort de son pere, il avait herite d'un jardinet sous les remparts
de la ville, avec de petits murs blancs qui tombaient en ruines, une
porte embroussaillee qui ne fermait pas, quelques figuiers, quelques
bananiers et deux ou trois sources vives
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