ste financier et M.
Jules Jottras, de la maison Jottras et frere.
C'est avec une ardente curiosite, que Mme Favoral observait ces gens,
que son mari appelait ses amis, et qu'elle voyait, elle, pour la
premiere fois.
M. de Thaller, qui n'avait guere plus de trente ans alors, n'avait
deja plus d'age. Froid, gourme, visant evidemment au genre anglais, il
s'exprimait en phrases breves avec un tres-sensible accent etranger.
Rien a surprendre sur sa physionomie. Il avait le front bombe, l'oeil
d'un bleu terne et le nez tres-mince. Ses rares cheveux etaient etales
sur son crane avec une laborieuse symetrie, et sa barbe rousse,
touffue et bien soignee, paraissait le preoccuper beaucoup.
M. Saint-Pavin n'avait point ces facons empesees. Neglige dans sa
mise, il manquait de tenue. C'etait un robuste gaillard, brun et
barbu, a la levre epaisse, a l'oeil saillant et brillant, etalant sur
la nappe de larges mains ornees aux phalanges de bouquets de poil,
parlant haut; riant fort, mangeant ferme, buvant mieux...
Pres de lui, M. Jules Jottras, bien que ressemblant a une gravure de
modes, ne resplendissait guere. Mievre, blond, bleme, quasi
imberbe. M. Jottras ne se distinguait que par une sorte d'impudence
inconsciente, un cynisme douceatre et un ricanement dont les hoquets
secouaient le binocle qu'il portait plante sur le nez. Mais c'est
surtout Mme de Thaller qui inquietait Mme Favoral.
Vetue avec une magnificence d'un gout au moins contestable,
tres-decolletee, portant de gros diamants aux oreilles et des bagues
a tous les doigts, la jeune baronne etait insolemment belle, d'une
beaute provoquante jusqu'a la brutalite. Avec des cheveux d'un noir
bleu, tordus sur la nuque en lourdes boucles, elle avait la peau d'une
blancheur nacree, des levres plus rouges que le sang et de grands yeux
qui jetaient des flammes entre leurs longs cils, recourbes. C'etait la
poesie de la chair, on ne pouvait se tenir d'admirer. Parlait-elle,
par exemple, ou faisait-elle un mouvement, l'admiration tombait. La
voix etait vulgaire, le geste commun. Si M. Jottras risquait un mot a
double sens, elle se renversait sur sa chaise pour rire, tendant le
cou et avancant la gorge...
Tout a ses convives, M. Favoral ne remarquait rien.
Il ne songeait qu'a charger les assiettes et a remplir les verres,
se plaignant qu'on ne mangeat pas, qu'on ne but rien, demandant avec
inquietude si ce qu'on servait n'etait pas bon, si son vin etait
mauvais, tourmenta
|