d'imagination et de mouvement. Tout
ce travail lui fait grand bien et rabote son caractere sans qu'il s'en
apercoive. Il oublie un peu la toilette et met tout son argent en
gravures et en platres. Son pere aurait grand tort de lui retenir ses
quatre cents francs. Mais il les retiendra, tout en lui faisant les
phrases les plus banales du monde pour l'engager _a devenir un Raphael
ou un Michel-Ange_.
La grosse est fort sage a la pension, a ce qu'on dit. Je ne m'en
apercois guere a la maison. Elle se porte bien toujours. Dieu veuille
qu'elle devienne un peu moins herisson en grandissant! Quand je vois
Leontine, qui n'etait pas commode, douce et bonne comme elle l'est a
present, j'espere que Solange tournera de meme quelque jour.
Si je ne vais pas a Nohant cette annee, il faudra que tu boives le
bourgogne de ma cave, voila tout le remede que j'y vois. Je voudrais
pourtant y aller; car j'ai de Paris plein le dos. Si on nous fortifie
surtout, nous allons tourner a l'imbecillite et a l'abrutissement le
plus odieux. Appretons-nous a payer de jolis impots, a perdre le bois
de Boulogne, a voir les republicains du _National_ donner la main aux
culottes de peau de l'Empire. Tout, cela est ignoble et revoltant. Cela
s'est fait au milieu de telles intrigues, qu'on ne comprend plus rien a
ce malheureux pays. Le peuple souffre de plus en plus, et la debauche
des riches va son train.
Il faut voir les theatres regorger de prostituees dansant le cancan avec
cette noble population bourgeoise qui se laisse insulter par le monde
entier, qui souffre les trahisons de son gouvernement infame, et qui
cuve son vin et sa honte sur les marches des mauvais lieux. Si le peuple
ne s'endort pas sous le fardeau, tout cela est bon, parce que c'est le
craquement revolutionnaire qui se fait tout doucement. Mais, mon Dieu,
il faudra que ce peuple ait bien du coeur, de l'energie et de la vertu,
si tout ce poison qui decoule sur lui ne le corrompt pas.
Bonsoir, mon vieux; viens toujours nous voir. Je t'embrasse.
[1] Dame de compagnie de feu la baronne Dudevant.
CCV
A M. L'ABBE DE LAMENNAIS, A SAINTE-PELAGIE
Paris, fevrier 1841.
Ce a quoi je tiens avant tout, monsieur, c'est que vous ne croyiez point
qu'un sot amour propre blesse put jamais me faire abjurer les sentiments
d'affection et de respect que je vous ai voues. Quand meme j'aurais eu
la certitude que vous aviez voulu m'adresser du fond de votr
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