re vie pour toute cette
race qui ne vous vaut pas. Enfin, Dieu ne se fera pas le complice de
vos bourreaux, et, malgre vous, il vous rendra a nos voeux, a notre
devouement et a notre respectueuse amitie.
GEORGE SAND.
[1] Le docteur Gaubert jeune.
CCVI
A M. AUGUSTE MARTINEAU DESCHENEZ, A ALGER
Nohant, 16 juillet 1841.
Non, mon cher enfant, je ne t'oublie pas, et je ne t'ai pas ote mon
amitie. Mais je n'ecris plus a personne; ce que je dis non pour me
justifier, mais pour que tu ne te croies pas plus maltraite que mes
autres vieux amis. Je suis coupable envers vous tous, et mon horreur
pour les lettres est aussi grande que mon degout des _belles-lettres_.
J'aime pourtant a en recevoir des gens que j'aime, _belles_ ou non. Mais
je ne sais plus repondre, je ne peux plus me resumer en quatre lignes
comme autrefois, comme on le peut et comme on le fait quand on est
jeune.
Je ne le suis plus du tout, et apparemment mon cerveau s'est etrangement
complique, puisque je ne peux plus rendre compte de moi a moins d'un
volume que je t'epargne, et tu dois m'en savoir gre.
Le fait est que ne puis plus dire si je suis triste ou gaie, forte ou
abattue. Je n'en sais plus rien. Je suis triste ou contente selon les
choses exterieures communes a nous tous; mais je n'ai plus aucune
initiative avec ma vie. Elle me mene, je ne la gouverne plus. Et ce
n'est pas chagrin de ma part, c'est indifference de moi-meme. Cela est
venu avec les annees et l'embonpoint; l'apathie naturelle y a contribue,
et peut-etre l'influence d'une epoque ou aucune de mes sympathies et de
mes croyances n'est realisee ni realisable.
Tu vois bien que je ne suis pas amusante et que je te parle de choses ou
tu n'entends rien. Car, Dieu merci, tu es jeune, tu aimes la vie, tu y
trouves des souffrances ou des plaisirs personnels assez vifs pour que
tu te sentes vivre. Enfin, tes idees n'ont pas encore pris une
direction qui te rende la societe antipathique. Peut-etre meme ne la
prendront-elles jamais, et je ne sais pas pourquoi tu te souviens que
j'existe, moi qui ne suis pas de ce monde et qui n'y pose qu'une patte,
m'elancant avec les trois autres dans un avenir dont tu ne te soucies
guere, et tu fais bien.
Amuse-toi donc! je ne te plains pas, quoique je concoive tes heures
d'ennui et de souffrance la-bas. Mais enfin tu auras vu l'Afrique, et le
present, qui te deplait souvent, aura son prix quand il sera entre d
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