s n'apercevions pas du tout.
Completement dissimules dans les tranchees ou ils s'etaient terres, les
tirailleurs bavarois nous envoyaient, comme une grele tombee du ciel,
des kilogrammes de plomb. Devant nous, a droite, a gauche, de tous les
cotes a la fois, les balles pleuvaient, soulevant chacune une pincee de
terre. Si le plomb germait, quelle terrible moisson eut produit le champ
que nous occupions! Mais franchement, quel tatonnement! Que de coups
perdus!
Il y avait la comme un encouragement a ne pas se preoccuper des
fantassins et a destiner sans regret tous nos coups aux canonniers. Ils
s'agitaient perpetuellement, comme des ombres chinoises, sur le fond
blanc de la fumee. Au-dessus d'eux, le moulin elevait sa cage carree,
faite de vieilles planches noircies, et son pignon a angle droit, ou
la croix de ses ailes immobiles semblait fixee comme sur un enorme
catafalque.
Peu apres que la batterie eut repris position sous cet abri, je
constatai que la provision de ma cartouchiere etait epuisee. Il fallut
recourir a la reserve du sac, operation qui paraissait longue dans
l'endroit ou nous nous trouvions. Je m'appliquai pourtant a l'executer
sans hate exageree, de peur de maladresses qui eussent allonge le temps
perdu. En rebouclant mon sac sur les epaules, je vis, tout pres de moi,
couche comme la plupart des hommes, M. Houssine, qui, du bout de sa
canne, jouait avec une motte de terre encore blanche de la neige
tombee l'avant-derniere nuit. Un imperieux besoin vous prend, dans les
situations tendues, d'entendre le son de sa propre voix. Sans doute
veut-on s'affirmer a soi-meme, par quelques paroles, si banales
soient-elles, qu'on jouit de sa presence d'esprit. Cela seul explique
pourquoi, tout en glissant une nouvelle cartouche dans la culasse de mon
fusil, j'adressai ces mots a mon peu sympathique officier: "La fin des
munitions approche, mon lieutenant. J'en ai deja brule la moitie. C'est
dommage!"
Avant que j'eusse referme le tonnerre sur la cartouche, une forte
commotion, comme un rude coup de baton, m'avait secoue le bras gauche.
Toujours dans la position du tireur a genou, je chargeais; ma main
glissa, inerte, de dessus mon genou par terre, et un flot de sang
l'inonda. En meme temps, une tres vive douleur se faisait sentir a la
jambe sur laquelle avait repose mon bras.
Point de doute possible, nos maladroits adversaires, avaient enfin,
sur mille coups peut-etre, touche au moins une fois. Une balle m'ava
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