uches de revolver, et j'eprouvais quelque emotion a l'idee d'avoir
pour cible des corps humains comme debut. Le sous-lieutenant Houssine
m'emprunta mon arme, visa, tira, me la rendit froidement. J'y glissai
une seconde cartouche: mais je ne l'imitai point: j'attendis encore.
Quoi? Impossible de le dire; je l'ignore moi-meme. Est-ce que j'allais
avoir de laches scrupules? une fausse honte de mon devoir ou des elans
intempestifs d'humanite? Les etres qui depuis quatre mois tiraient sans
relache sur des Francais, les sanguinaires Bavarois de Bazeilles qui
etaient la devant nous, m'inspiraient-ils de la compassion? Non, certes.
Pourquoi, cependant, hesiter a les frapper?...
Quoique le general Chanzy ait ecrit que nous fumes attaques de bonne
heure, je crois que le premier coup de canon a retenti de notre cote le
vendredi, 9 decembre. Une batterie s'etait etablie contre le village de
Cernay, et, vers sept heures, elle ouvrit le feu sur la masse noire qui
fourmillait devant Villechaumont. La replique, il est vrai, ne se fit
pas attendre. La foule sombre s'etant aussitot ecartee, huit flammes
brillerent presque simultanement au sein d'un nuage grossissant, et,
comme nous etions dans l'axe du tir, nous pumes suivre du regard les
projectiles qui se croiserent dans l'air. Le bruit des deux decharges se
faisant echo, le fracas des obus dans les hautes branches au-dessus de
nos tetes, le grand silence qui soudain regna dans les rangs, tout donna
a cet instant un caractere de singuliere solennite. Il y eut comme le
saisissement qui vous prend devant un spectacle de beaute superieure.
Au milieu du recueillement qui avait suivi les detonations, une voix a
l'energie et aux vibrations bien connues, celle qui dans la foret de
Blois avait prononce, au nom de la Patrie envahie, la sentence du
caporal Tillot, s'eleva, claire, forte et ferme. Le capitaine Eynard,
donnant l'elan a son corps vigoureux et souple, s'ecriait, en nous
montrant le chemin: "En avant!--La premiere section, en tirailleurs!"
Rompant les clotures des jardins, qui leur servaient encore de freles
abris, cent hommes s'elancerent de bon coeur, preparant leurs
cartouches dans la gibeciere, appretant le tonnerre du chassepot. Le
sous-lieutenant marchait avec nous: Villiot et moi, nous etions les
seuls sous-officiers de la section, Gouzy ayant disparu la veille.
Au bout de trois cents pas, le capitaine s'arreta, de meme toute la
chaine humaine dont il etait le moteur. "A
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