moi, avait tremble, le 8 decembre, parce que le spectre
invisible, mais obsedant quand meme, lui avait donne pour le lendemain
le rendez-vous inevitable, le rendez-vous fatal.
Par la ruelle ou la compagnie s'etait engagee, encore intacte, deux
heures plus tot, je rentrai dans le village, en tirant le pied, en
soutenant mon bras douloureux, et je me laissai tomber sur un banc de
pierre, pres d'une porte, plus triste encore que souffrant. Mon
coeur etait navre de la mort de mon plus ancien frere d'armes, et je
regrettais en meme temps ceux qui lui survivaient. De communes miseres,
surtout endurees pour une noble cause, nouent des liens solides. Par la
se justifie l'assimilation faite entre le regiment et la famille, car la
parente s'affirme principalement dans les jours de peine et de deuil.
Si les balles bavaroises ne portaient pas toutes, les obus etaient
meurtriers. Devant moi, sur le terrain ou la veille nous avions
manoeuvre, il en tombait, tombait toujours, et beaucoup faisaient des
ravages dans un bataillon qui etait masse la, en reserve. Les cacolets
venaient faire leur sanglante recolte dans le village. Il en passa
bientot un pres de moi, mais deja charge. Le conducteur s'approcha
neanmoins. Il tira de sa poche un grand mouchoir a carreaux, tout neuf,
dont il me fit une echarpe, et il m'engagea a le suivre, si je pouvais
marcher, afin de me faire soigner plus tot.
Mon sang, a la verite, s'ecoulait par les deux trous pratiques dans
mon bras, l'un assez pres du poignet, l'autre a la sortie de la balle,
presque au coude. Tous mes vetements, capote, pantalon, guetres, tout
etait inonde: je m'epuiserais sans doute a vouloir trop attendre.
Et puis, par le temps glacial qu'il faisait, j'avais l'etrange et
desagreable sensation de l'air s'infiltrant, au travers de mon bras,
comme dans un tube. Je me decidai donc a suivre le cacolet. Mais ne
voila-t-il pas que, par une prudence fort naturelle, obligee meme,
le conducteur s'engagea dans le chemin le plus sur, a l'abri des
projectiles. Malheureusement c'etait aussi le plus long. Ma jambe me
faisait toujours souffrir; la longueur du circuit m'effraya. Apres la
verification des pressentiments de Nareval, mon fatalisme etait devenu
tel, qu'il ne me vint pas a l'idee que je pouvais etre atteint sur un
point plutot que sur un autre. Quittant mon guide, je coupai court,
impunement, a travers le champ que plusieurs obus labourerent devant moi
et derriere moi.
A mi-chemin
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