rresistible.
Il arrive a Karagueuz d'interpeller les spectateurs et d'avoir ses
demeles avec le public. Il lui arrive aussi de se permettre des faceties
tout a fait incongrues, et de faire devant tout le monde des choses qui
scandaliseraient meme un capucin. En Turquie, cela passe; la censure n'y
trouve rien a dire, et on voit chaque soir les bons Turcs s'en aller, la
lanterne a la main, conduire a Karagueuz des troupes de petits enfants.
On offre a ces pleines salles de bebes un spectacle qui, en Angleterre,
ferait rougir un corps de garde.
C'est la un trait curieux des moeurs orientales, et on serait tente d'en
deduire que les musulmans sont beaucoup plus depraves que nous-memes,
conclusion qui serait absolument fausse.
Les theatres de Karagueuz s'ouvrent le premier jour du mois lunaire du
Ramazan et sont fort courus pendant trente jours.
Le mois fini, tout se ramasse et se demonte. Karagueuz rentre pour un an
dans sa boite et n'a plus, sous aucun pretexte, le droit d'en sortir.
XVIII
Pera m'ennuie et je demenage; je vais habiter dans le vieux Stamboul,
meme au-dela de Stamboul, dans le saint faubourg d'Eyoub.
Je m'appelle la-bas Arif-Effendi; mon nom et ma position y sont
inconnus. Les bons musulmans mes voisins n'ont aucune illusion sur ma
nationalite; mais cela leur est egal, et a moi aussi.
Je suis la a deux heures du _Deerhound_, presque a la campagne, dans une
case a moi seul. Le quartier est turc et pittoresque au possible: une
rue de village ou regne dans le jour une animation originale; des
bazars, des cafedjis, des tentes; et de graves derviches fumant leur
narguilhe sous des amandiers.
Une place, ornee d'une vieille fontaine monumentale en marbre blanc,
rendez-vous de tout ce qui nous arrive de l'interieur, tziganes,
saltimbanques, montreurs d'ours. Sur cette place, une case isolee,
--c'est la notre.
En bas, un vestibule badigeonne a la chaux, blanc comme neige, un
appartement vide. (Nous ne l'ouvrons que le soir, pour voir, avant de
nous coucher, si personne n'est venu s'y cacher, et Samuel pense qu'il
est hante.)
Au premier, ma chambre, donnant par trois fenetres sur la place deja
mentionnee; la petite chambre de Samuel, et le _haremlike_, ouvrant a
l'est sur la Corne d'or.
On monte encore un etage, on est sur le toit, en terrasse comme un toit
arabe; il est ombrage d'une vigne, deja fort jaunie, helas! par le vent
de novembre.
Tout a cote de la case, une vieille mosq
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