nus, indifferents ou antipathiques;
beaucoup de dettes, des juifs a mes trousses; des habits brodes d'or
jusqu'a la plante des pieds; la mort dans l'ame et le coeur vide.
Ce soir, 15 novembre, a dix heures, voici quelle est la situation:
C'est l'hiver; une pluie froide et un grand vent battent les vitres de
ma triste case; on n'entend plus d'autre bruit que celui qu'ils font,
et la vieille lampe turque pendue au-dessus de ma tete est la seule qui
brule a cette heure dans Eyoub. C'est un sombre pays qu'Eyoub, le coeur
de l'islam; c'est ici qu'est la mosquee sainte ou sont sacres les
sultans; de vieux derviches farouches et les gardiens des saints
tombeaux sont les seuls habitants de ce quartier, le plus musulman et le
plus fanatique de tous ...
Je vous disais donc que votre ami Loti est seul dans sa case, bien
enveloppe dans un manteau de peau de renard, et en train de se prendre
pour un derviche.
Il a tire les verrous de ses portes, et goute le bien-etre egoiste du
chez soi, bien-etre d'autant plus grand que l'on serait plus mal
au-dehors, par cette tempete, dans ce pays peu sur et inhospitalier.
La chambre de Loti, comme toutes les choses extraordinairement vieilles,
porte aux reves bizarres et aux meditations profondes; son plafond de
chene sculpte a du jadis abriter de singuliers hotes, et recouvrir plus
d'un drame.
L'aspect d'ensemble est reste dans la couleur primitive. Le plancher
disparait sous des nattes et d'epais tapis, tout le luxe du logis; et,
suivant l'usage turc, on se dechausse en entrant pour ne point les
salir. Un divan tres bas et des coussins qui trainent a terre composent
a peu pres tout l'ameublement de cette chambre, empreinte de la
nonchalance sensuelle des peuples d'Orient. Des armes et des objets
decoratifs fort anciens sont pendus aux murailles; des versets du Koran
sont peints partout, meles a des fleurs et a des animaux fantastiques.
A cote, c'est le _haremlike_, comme nous disons en turc, l'appartement
des femmes. Il est vide; lui aussi, il attend Aziyade, qui devrait etre
deja pres de moi, si elle avait tenu sa promesse.
Une autre petite chambre, aupres de la mienne, est vide egalement:
c'est celle de Samuel, qui est alle me chercher a Salonique des
nouvelles de la jeune femme aux yeux verts. Et, pas plus qu'elle, il ne
parait revenir.
Si pourtant elle ne venait pas, mon Dieu, un de ces jours une autre
prendrait sa place. Mais l'effet produit serait fort different. Je
l
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