vierais-tu meme le sultan?
Cela est vrai, le sultan, l'homme qui, pour les Ottomans, doit jouir de
la plus grande somme du bonheur sur la terre, n'est pas l'homme que je
puis envier; il est fatigue et vieilli et, de plus il est
_constitutionnel_.
--Je pense, Aziyade, dis-je, que le padishah donnerait tout ce qu'il
possede,--meme son emeraude qui est aussi large qu'une main, meme sa
charte et son parlement,--pour avoir ma liberte et ma jeunesse.
J'avais envie de dire: " Pour t'avoir, toi!... " mais le padishah
ferait sans doute bien peu de cas d'une jeune femme, si charmante
qu'elle fut, et j'eus peur surtout de prononcer une rengaine
d'opera-comique. Mon costume y pretait d'ailleurs: une glace m'envoyait
une image deplaisante de moi-meme, et je me faisais l'effet d'un jeune
tenor, pret a entonner un morceau d'Auber.
C'est ainsi que, par moments, je ne reussis plus a me prendre au serieux
dans mon role turc; Loti passe le bout de l'oreille sous le turban
d'Arif, et je retombe sottement sur moi-meme, impression maussade et
insupportable.
XXII
J'ai ete difficile et fier pour tout ce qui porte levite ou chapeau
noir; personne n'etait pour moi assez brillant ni assez grand seigneur;
j'ai beaucoup meprise mes egaux et choisi mes amis parmi les plus
raffines. Ici, je suis devenu homme du peuple, et citoyen d'Eyoub; je
m'accommode de la vie modeste des bateliers et des pecheurs, meme de
leur societe et de leurs plaisirs.
Au cafe turc, chez le cafedji Suleiman, on elargit le cercle autour du
feu, quand j'arrive le soir, avec Samuel et Achmet. Je donne la main
a tous les assistants, et je m'assieds pour ecouter le conteur des
veillees d'hiver (les longues histoires qui durent huit jours, et ou
figurent les djinns et les genies). Les heures passent la sans fatigue
et sans remords; je me trouve a l'aise au milieu d'eux, et nullement
depayse.
Arif et Loti etant deux personnages tres differents, il suffirait, le
jour du depart du Deerhound, qu'Arif restat dans sa maison; personne
sans doute ne viendrait l'y chercher; seulement, Loti aurait disparu,
et disparu pour toujours.
Cette idee, qui est d'Aziyade, se presente a mon esprit par instants
sous des aspects etrangement admissibles.
Rester pres d'elle, non plus a Stamboul, mais dans quelque village turc
au bord de la mer; vivre, au soleil et au grand air, de la vie saine des
hommes du peuple; vivre au jour le jour, sans creanciers et sans souci
de l'av
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