t-Daoub-pacha, epoux de Behidje-hanum, fut un des favoris du
sultan Mahmoud, et trempa dans le massacre des janissaires.
Behidje-hanum, admise a cette epoque dans son conseil, l'y avait pousse
de tout son pouvoir.
Dans une rue verticale du quartier turc de Djianghir, sur les hauteurs
du Taxim, habite la vieille Behidje-hanum. Son appartement, qui deja
surplombe des precipices, porte deux shaknisirs en saillie,
soigneusement grilles de lattes de frene.
De la, on domine d'aplomb les quartiers de Foundoucli, les palais de
Dolma-Bagtche et de Tcheraghan, la pointe du Serail, le Bosphore, le
Deerhound, pareil a une coquille de noix posee sur une nappe bleue,--et
puis Scutari et toute la cote d'Asie.
Behidje-hanum passe ses journees a cet observatoire, etendue sur un
fauteuil, et Aziyade est souvent a ses pieds,--Aziyade attentive au
moindre signe de sa vieille amie, et devorant ses paroles comme les
arrets divins d'un oracle.
C'est une anomalie que l'intimite de la jeune femme obscure et de la
vieille cadine, rigide et fiere, de noble souche et de grande maison.
Behidje-hanum ne m'est connue que par oui-dire: les infideles ne sont
point admis dans sa demeure.
Elle est belle encore, affirme Aziyade, malgre ses quatre-vingts ans,
"belle comme les beaux soirs d'hiver"
Et, chaque fois qu'Aziyade m'exprime quelque idee neuve, quelque notion
nette et profonde sur des choses qu'elle semblerait devoir ignorer
absolument, et que je lui demande: " Qui t'a appris cela, ma cherie?
"--Aziyade repond: " C'est ma mere Behidje."
"Ma mere " et " mon pere " sont des titres de respect qu'on emploie en
Turquie lorsqu'on parle de personnes agees, meme lorsque ces personnes
vous sont indifferentes ou inconnues.
Behidje-hanum n'est point une mere pour Aziyade. Tout au moins est-ce
une mere imprudente, qui ne craint pas d'exalter terriblement la jeune
imagination de son enfant.
Elle l'exalte au point de vue religieux d'abord, tant et si bien, que la
pauvre petite abandonnee verse souvent des larmes tres ameres sur son
amour pour un infidele.
Elle l'exalte au point de vue romanesque aussi, par le recit de longues
histoires, contees avec esprit et avec feu, qui me sont redites la nuit,
par les levres fraiches de ma bien-aimee.
Longues histoires fantastiques, aventures du grand Tchengiz ou des
anciens heros du desert, legendes persanes ou tartares, ou l'on voit de
jeunes princesses, persecutees par les genies, accomplir des
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