que d'autres payent fort cher.
Samuel met deux culottes percees l'une sur l'autre pour aller au travail;
il se figure que les trous ne coincident pas et qu'il est fort convenable
ainsi.
Chaque soir, on nous trouve, comme deux bons Orientaux, fumant notre
narguilhe sous les platanes d'un cafe turc, ou bien nous allons au
theatre des ombres chinoises, voir Karagueuz, le Guignol turc qui nous
captive. Nous vivons en dehors de toutes les agitations, et la politique
n'existe pas pour nous.
Il y a panique cependant parmi les chretiens de Constantinople, et
Stamboul est un objet d'effroi pour les gens de Pera, qui ne passent
plus les ponts qu'en tremblant.
XVI
Je traversais hier au soir Stamboul a cheval, pour aller chez
Izeddin-Ali. C'etait la grande fete du Bairam, grande feerie orientale,
dernier tableau du Ramazan: toutes les mosquees illuminees; les
minarets etincelants jusqu'a leur extreme pointe; des versets du Koran
en lettres lumineuses suspendus dans l'air; des milliers d'hommes criant
a la fois, au bruit du canon, le nom venere d'Allah; une foule en habits
de fete, promenant dans les rues des profusions de feux et de lanternes;
des femmes voilees circulant par troupes, vetues de soie, d'argent et
d'or.
Apres avoir couru, Izeddin-Ali et moi, tout Stamboul, a trois heures du
matin nous terminions nos explorations par un souterrain de banlieue, ou
de jeunes garcons asiatiques, costumes en almees, executaient des danses
lascives devant un public compose de tous les repris de la justice
ottomane, saturnale d'une ecoeurante nouveaute. Je demandai grace pour
la fin de ce spectacle, digne des beaux moments de Sodome, et nous
rentrames au petit jour.
XVII
KARAGUEUZ
Les aventures et les mefaits du seigneur Karagueuz ont amuse un nombre
incalculable de generations de Turcs, et rien ne fait presager que la
faveur de ce personnage soit pres de finir.
Karagueuz offre beaucoup d'analogies de caractere avec le vieux
polichinelle francais; apres avoir battu tout le monde, y compris sa
femme, il est battu lui-meme par _Cheytan_,--le diable,--qui
finalement l'emporte, a la grande joie des spectateurs.
Karagueuz est en carton ou en bois; il se presente au public sous forme
de marionnette ou d'ombre chinoise; dans les deux cas, il est egalement
drole. Il trouve des intonations et des postures que Guignol n'avait pas
soupconnees; les caresses qu'il prodigue a madame Karagueuz sont d'un
comique i
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