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Un vent plein de corruption a passe la-dessus. Ce frere dont le coeur ne
peut pourtant pas vivre sans affections, qui en a faim et soif, il n'en
veut plus, d'affections pures; il vieillira, mais personne ne sera la
pour le cherir et egayer son front. Ses maitresses se riront de lui, on
ne peut leur en demander davantage; et alors, abandonne, desespere ...
alors, il mourra!
Plus tu es malheureux, trouble, ballotte, confiant, plus je t'aime. Ah!
mon bien-aime frere, mon cheri, si tu voulais revenir a la vie! si Dieu
voulait! si tu voyais la desolation de mon coeur, si tu sentais la
chaleur de mes prieres!...
Mais la peur, l'ennui de la conversion, les terreurs blafardes de la vie
chretienne ... La conversion, quel mot ignoble!... Des sermons ennuyeux,
des gens absurdes, un methodisme maussade, une austerite sans couleur,
sans rayons, de grands mots, le _patois de Chanaan_!... Est-ce tout
cela qui peut te seduire? Tout cela, vois-tu, n'est pas Jesus, et le
Jesus que tu crois n'est pas le maitre radieux que je connais et que
j'adore. De celui-la, tu n'auras ni peur, ni ennui, ni eloignement. Tu
souffres etrangement, tu brules de douleur ... il pleurera avec toi.
Je prie a toute heure, bien-aime; jamais ta pensee ne m'avait tant
rempli le coeur ... Ne serait-ce que dans dix ans, dans vingt ans, je
sais que tu croiras un jour. Peut-etre ne le saurai-je jamais,--
peut-etre mourrai-je bientot,--mais j'espererai et je prierai toujours!
Je pense que j'ecris beaucoup trop. Tant de pages! c'est dur a lire!
Mon bien-aime a commence a hausser les epaules. Viendra-t-il un jour ou
il ne me lira plus?...
XXVII
--Vieux Kairoullah, dis-je, amene-moi des femmes!
Le vieux Kairoullah etait assis devant moi par terre. Il etait ramasse
sur lui-meme, comme un insecte malfaisant et immonde; son crane chauve
et pointu luisait a la lueur de ma lampe.
Il etait huit heures, une nuit d'hiver, et le quartier d'Eyoub etait
aussi noir et silencieux qu'un tombeau.
Le vieux Kairoullah avait un fils de douze ans nomme Joseph, beau comme
un ange, et qu'il elevait avec adoration. Ce detail a part, il etait le
plus accompli des miserables. Il exercait tous les metiers tenebreux du
vieux juif declasse de Stamboul, un surtout pour lequel il traitait avec
le Yuzbachi Suleiman, et plusieurs de mes amis musulmans.
Il etait cependant admis et tolere partout, par cette raison que, depuis
de longues annees on s'etait habitue a le
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