! qu'y voyez-vous, poetes ?
Tournez vers l'Orient vos esprits et vos yeux !
" Helas ! ont repondu leurs voix longtemps muettes,
Nous voyons bien la-bas un jour mysterieux !
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C'est peut-etre le soir qu'on prend pour une aurore "
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(VICTOR HUGO, _Chants du crepuscule_.)
Je n'oublierai jamais l'aspect qu'avait pris, cette nuit-la, la grande
place du Seraskierat, esplanade immense sur la hauteur centrale de
Stamboul, d'ou, par-dessus les jardins du serail, le regard s'etend dans
le lointain jusqu'aux montagnes d'Asie. Les portiques arabes, la haute
tour aux formes bizarres etaient illumines comme aux soirs de grandes
fetes. Le deluge de la journee avait fait de ce lieu un vrai lac ou se
refletaient toutes ces lignes de feux; autour du vaste horizon
surgissaient dans le ciel les domes des mosquees et les minarets aigus,
longues tiges surmontees d'aeriennes couronnes de lumieres.
Un silence de mort regnait sur cette place; c'etait un vrai desert.
Le ciel clair, balaye par un vent qu'on ne sentait pas, etait traverse
par deux bandes de nuages noirs, au-dessus desquels la lune etait venue
plaquer son croissant bleuatre. C'etait un de ces aspects a part que
semble prendre la nature dans ces moments ou va se consommer quelque
grand evenement de l'histoire des peuples.
Un grand bruit se fit entendre, bruit de pas et de voix humaines; une
bande de softas entrait par les portiques du centre, portant des
lanternes et des bannieres; ils criaient: " Vive le sultan! vive
Midhat-pacha! vive la constitution! vive la guerre! " Ces hommes
etaient comme enivres de se croire libres; et, seuls, quelques vieux
Turcs qui se souvenaient du passe haussaient les epaules en regardant
courir ces foules exaltees.
--Allons saluer Midhat-pacha, s'ecrierent les softas.
Et ils prirent a gauche, par de petites rues solitaires, pour se rendre
a l'habitation modeste de ce grand vizir, alors si puissant, qui devait,
quelques semaines apres, partir pour l'exil.
Au nombre d'environ deux mille, les softas s'en allerent ensemble prier
dans la grande mosquee (la Suleimanieh) et de la passerent la Corne
d'or, pour aller, a Dolma-Bagtche, acclamer Abd-ul-Hamid.
Devant les grilles du palais, des deputations de tous les corps, et une
grande masse confuse d'hommes s'etaient reunis spontanement dans le but
de faire au souverain constitutionnel une ovation enthousiaste.
Ces bandes
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