e des choses incoherentes que je
n'entendais meme plus!
--_Severim seni, Lotim_! (Je t'aime, Loti, disait-elle, je t'aime!)
On me les avait dits avant Aziyade, ces mots eternels; mais cette douce
musique de l'amour frappait pour la premiere fois mes oreilles en langue
turque. Delicieuse musique que j'avais oubliee, est-ce bien possible que
je l'entende encore partir avec tant d'ivresse du fond d'un coeur pur de
jeune femme; tellement, qu'il me semble ne l'avoir entendue jamais;
tellement qu'elle vibre comme un chant du ciel dans mon ame blasee ...
Alors, je la soulevai dans mes bras, je placai sa tete sous un rayon de
lumiere pour la regarder, et je lui dis comme Romeo:
--Repete encore! redis-le!
Et je commencais a lui dire beaucoup de choses qu'elle devait
comprendre; la parole me revenait avec les mots turcs, et je lui posais
une foule de questions en lui disant:
--Reponds-moi!
Elle, elle me regardait avec extase, mais je voyais que sa tete n'y
etait plus, et que je parlais dans le vide.
--Aziyade, dis-je, tu ne m'entends pas?
--Non, repondit-elle.
Et elle me dit d'une voix grave ces mots doux et sauvages:
--Je voudrais manger les paroles de ta bouche! _Senin laf yemek
isterim_! (Loti! je voudrais manger le son de ta voix!)
III
Eyoub, decembre 1876.
Aziyade parle peu; elle sourit souvent, mais ne rit jamais; son pas ne
fait aucun bruit; ses mouvements sont souples, ondoyants, tranquilles,
et ne s'entendent pas. C'est bien la cette petite personne mysterieuse,
qui le plus souvent s'evanouit quand parait le jour, et que la nuit
ramene ensuite, a l'heure des djinns et des fantomes.
Elle tient un peu de la vision, et il semble qu'elle illumine les lieux
par lesquels elle passe. On cherche des rayons autour de sa tete
enfantine et serieuse, et on en trouve en effet, quand la lumiere tombe
sur certains petits cheveux impalpables, rebelles a toutes les
coiffures, qui entourent delicieusement ses joues et son front.
Elle considere comme tres inconvenants ces petits cheveux, et passe
chaque matin une heure en efforts tout a fait sans succes pour les
aplatir. Ce travail et celui qui consiste a teindre ses ongles en rouge
orange sont ses deux principales occupations.
Elle est paresseuse, comme toutes les femmes elevees en Turquie;
cependant elle sait broder, faire de l'eau de rose et ecrire son nom.
Elle l'ecrit partout sur les murs, avec autant de serieux que s'il
s'agissait d'une
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