gue, monotone, composee sur un rythme etrange, avec les intervalles
impossibles, et les finales tristes de l'Orient.
Quand j'aurai quitte Stamboul, quand je serai loin d'elle pour toujours,
longtemps encore j'entendrai la nuit la chanson d'Aziyade.
XI
A LOTI, DE SA SOEUR
Brightbury, decembre 1876.
Chere frere,
Je l'ai lue, et relue, ta lettre! C'est tout ce que je puis demander
pour le moment, et je puis dire comme la Sunamite voyant son fils mort:
"Tout va bien!"
Ton pauvre coeur est plein de contradictions, ainsi que tous les coeurs
troubles qui flottent sans boussole. Tu jettes des cris de desespoir, tu
dis que tout t'echappe, tu en appelles passionnement a ma tendresse, et,
quand je t'en assure moi-meme, avec passion, je trouve que tu oublies
les absents, et que tu es si heureux dans ce coin de l'Orient que tu
voudrais toujours voir durer cet Eden. Mais voila, moi, c'est permanent,
immuable; tu le retrouveras, quand ces douces folies seront oubliees
pour faire place a d'autres, et peut-etre en feras-tu plus tard plus de
cas que tu ne penses.
Cher frere, tu es a moi, tu es a Dieu, tu es a nous. Je le sens, un
jour, bientot peut-etre, tu reprendras courage, confiance et espoir. Tu
verras combien cette _erreur_ est douce et delicieuse, precieuse et
bienfaisante. Oh! mensonge mille fois beni, que celui qui me fait vivre
et me fera mourir, sans regrets, et sans frayeur! qui mene le monde
depuis des siecles, qui a fait les martyrs, qui fait les grands peuples,
qui change le deuil en allegresse, qui crie partout: " Amour, liberte
et charite!"
..................
XII
Aujourd'hui, 10 decembre, visite au padishah.
Tout est blanc comme neige dans les cours du palais de Dolma-Bagtche,
meme le sol: quai de marbre, dalles de marbre, marches de marbre; les
gardes du sultan en costume ecarlate, les musiciens vetus de bleu de
ciel et chamarres d'or, les laquais vert-pomme doubles de jaune-capucine
tranchent en nuances crues sur cette invraisemblable blancheur.
Les acroteres et les corniches du palais servent de perchoir a des
familles de goelands, de plongeons et de cigognes.
Interieurement, c'est une grande splendeur.
Les hallebardiers forment la haie dans les escaliers, immobiles sous
leurs grands plumets, comme des momies dorees. Des officiers des gardes,
costumes un peu comme feu Aladdim, les commandent par signes.
Le sultan est grave, pale, fatigue, affaisse.
Reception courte
|